"L’écosystème d’enseignement et de recherche français est toujours très impliqué au Liban"

"L’écosystème d’enseignement et de recherche français est toujours très impliqué au Liban"

Doyenne du Collège universitaire de Sciences Po, Stéphanie Balme s’est rendue à Beyrouth en mars dernier. L’occasion de rencontrer les étudiants en échange et les Alumni vivant sur place, mais aussi de faire le point avec les partenaires académiques et associatifs de Sciences Po au Liban. Elle revient ici sur sa mission et les nouvelles pistes de partenariats envisagées.

Propos recueillis par Bernard El Ghoul

Stéphanie Balme (Crédits : Thomas Arrivé / Sciences Po)

Pouvez-vous nous dire quel était l’objectif, lors de votre séjour au Liban, de votre mission pour le Collège universitaire ?

J’ai répondu favorablement à l’invitation de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, qui est un partenaire de Sciences Po de longue date et qui, en cela, accueille depuis des années des étudiants en troisième année du Collège universitaire. Plusieurs enseignants de l’USJ y enseignent aussi, je pense notamment aux cours de Gabriel Khairallah – « Mythes et stéréotypes en Méditerranée » ou « Les femmes dans la littérature et le cinéma contemporains » dans la région. L’USJ souhaitait que je puisse donner une série de conférences, notamment sur la politique étrangère chinoise dans le contexte de la guerre en Ukraine. J’ai saisi l’occasion de cette invitation pour réaliser une mission complète pour le Collège universitaire. 

Compte tenu de la situation critique du pays, je voulais aller à la rencontre des étudiants du Collège universitaire, en échange ou en stage, pour mieux comprendre leur expérience au Liban en général et au sein de nos universités partenaires en particulier. L’université publique du Liban (l’Université Libanaise), par exemple, fait face à des difficultés majeures comme le départ massif d’enseignants et des problèmes financiers – de quasi-survie – au quotidien. J’ai ainsi également pu échanger avec des représentants de l’Université américaine de Beirut (AUB), de la Lebanese American University (LAU) et de l’École Supérieure des Affaires (ESA), qui sont tous des partenaires actifs, suivis par notre collègue de la DAI Léa Albrieux, du Bachelor de Sciences Po. 

Ensuite, j’ai évidemment souhaité rencontrer les alumni qui vivent et travaillent à Beyrouth afin de voir de quelle manière les mettre en relation avec nos élèves de troisième année, connaître les opportunités de stage voire de parcours civique. Il est important pour l’équipe pédagogique de Sciences Po de créer, partout dans le monde, l’équivalent d’une chaîne de solidarité, sur place, autour des plus jeunes SciencesPistes, afin de s’assurer qu’ils sont bien au centre de réseaux de sociabilité et disposent des informations de première main leur permettant de décoder la réalité des pays dans lesquels ils vivent pendant un an. Les alumni du Liban ont un attachement fort à Sciences Po et sont prêts à proposer des stages ou des emplois, voire à financer des bourses étudiantes. 

Concrètement, comment se passe l’année des étudiants de Sciences Po au Liban que vous avez pu rencontrer ?

Ils admettent que la vie au quotidien n’est pas facile, mais ils sont solides et portés par la passion de l’étude des civilisations et des sociétés du Moyen-Orient. Ils ont aussi 20 ans et sont prêts à vivre avec intensité les défis qui se présentent à eux. Plusieurs ont décidé de rester une année supplémentaire après la 3A, en césure donc, pour apprendre l’arabe ou ont trouvé un premier emploi. Aussi, sur place, nombreux sont ceux qui ont le sentiment d’être « utiles » et, de fait, ils le sont, grâce à leur formation et à leur savoir-être ! 

En ce qui me concerne, grâce à cette mission, je suis désormais mieux à même d’expliquer aux prochaines cohortes d’étudiants qui souhaitent partir au Liban ce qui les attend, les opportunités qui seront les leurs, les dos and don’ts, ainsi que les questions de sécurité qui sont à prendre en compte, évidemment.  

Quelles nouvelles pistes de coopération avez-vous pu explorer ?

J’avais pour objectif de rencontrer l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) afin d’évaluer avec sa directrice, Myriam Catusse, la possibilité de créer des Stages d’initiation à la recherche (ce que nous appelons les SIR) pour les étudiants du Collège universitaire. L’idée serait, avec les centres de l’Ifpo basés à Jérusalem, à Amman et à Beyrouth, de proposer à nos étudiants la possibilité de faire des stages de recherche tout en suivant dans le même temps des cours d’arabe – ce qui est une des grandes motivations des séjours à Beyrouth – tout en participant à la vie intellectuelle du laboratoire. Selon cette formule, les élèves seraient ainsi initiés à la recherche auprès d’académiques spécialistes de la région avec, en plus, un apprentissage méthodologique et linguistique permettant d’aborder des sujets de recherche complexes à partir de terrains qui le sont tout autant. Nous sommes en pleine réflexion sur les possibilités offertes par les SIR avec l’Ifpo et ce projet pourrait bien se concrétiser rapidement. 

Que pouvez-vous nous dire de la place qu’occupe le Liban pour les entités pédagogiques à Sciences Po ?

De manière générale, l’écosystème d’enseignement et de recherche français me semble toujours très impliqué là-bas. À titre d’exemple, la semaine précédant ma visite, une délégation du CNRS accompagnée de plusieurs universités françaises était à Beyrouth pour nouer des partenariats et apporter un soutien au tissu scientifique et éducatif local.  En cela, l’ambassadrice de France au Liban, Anne Grillo, a eu la gentillesse de m’accueillir au titre d’une politique ambitieuse de soutien explicite à l’écosystème universitaire libanais. Son service de coopération scientifique de l’ambassade s’était mobilisé amplement pour Sciences Po en soutien au Grand Lycée franco-libanais de Beyrouth pour réaliser une rencontre de présentation détaillée des études au Collège universitaire, à laquelle plusieurs centaines de lycéens, enseignants et familles ont participé. Naturellement, la question du financement des études supérieures pour les jeunes Libanais demeure un problème auquel il faut nous atteler dès maintenant.

Quels sont les besoins et les attentes des interlocuteurs que vous avez pu rencontrer ?

La thématique du parcours civique (cet objet pédagogique extracurriculaire et innovant, qui est devenu l’un des marqueurs du Bachelor de Sciences Po) a été abordée à plusieurs reprises lors de mes rencontres, notamment avec le CEO de Fair Trade Lebanon, Philippe Adaime. Car face aux difficultés dantesques auxquelles le pays est confronté, la société civile libanaise est active, formée et autonome. Les Libanais de toutes les communautés s’organisent en chaînes de solidarité qui permettent la survie des plus fragiles. Cette solidarité, certes communautaire et caritative, ainsi que le système éducatif semblent être les derniers maillons opérationnels d’un État défaillant, en tout cas c’est ce que j’ai observé sur place. Sachant que nous avons des étudiants à Beyrouth qui aiment cette région et qui veulent la comprendre, la question de la reconnaissance de leur engagement civique se pose. Beaucoup œuvrent déjà au sein d’ONG ou d’associations. Il reste qu’en tant que structure éducative, il est pertinent pour le Collège universitaire de réaliser une cartographie des structures existantes pour mieux comprendre où les étudiants réalisent leur parcours civique, soit afin de déceler certains dangers, soit pour pouvoir valoriser des engagements extraordinaires. Dans le cadre de cette mission, j’ai pu visiter à Tripoli l’ONG Ruwwad Al-Tanmeya (qui signifie « les pionniers du développement »), dédiée aux enfants de réfugiés, pour évaluer si des étudiants pouvaient y être accueillis tout en suivant des cours sur le campus Nord de l’Université Saint-Joseph.

Quels autres enseignements tirez-vous de votre mission au Liban ?

J’ai beaucoup appris sur la société civile libanaise. Durant cette visite, j’ai pu rencontrer des parents de victimes de l’explosion du port de Beyrouth, ce qui est une entrée en matière brutale mais réaliste des souffrances du pays. Voir d’aussi près la mobilisation de la société civile autour de ce qui est l’affaire judiciaire la plus importante de toute l’histoire du Liban est très impressionnant. À ce titre, j’ai pu rencontrer Caroline Hayek, grand reporter et prix Albert Londres 2021 pour ses reportages sur Beyrouth. Caroline a accepté de prononcer la leçon inaugurale du campus de Menton à la prochaine rentrée académique.

Et puis, j’ai eu l’occasion de donner une conférence sur les conséquences de la guerre en Ukraine, dans la dynamique des relations entre les États-Unis, la Chine et l’Europe. Depuis le début de cette guerre, je n’avais pas eu l’occasion de parler à un public aussi éloigné de notre réalité européenne. Le projet était de me décentrer et de proposer un sujet qui ne soit pas issu de la zone. Cela a été riche d’enseignements pour moi en tant que chercheuse, car les participants avaient tendance à plaquer une réalité géopolitique du Moyen-Orient sur le conflit ukrainien : soit en introduisant l’acteur israélien dans le jeu – qui n’est pas celui auquel on pense spontanément dans ce conflit ! –, soit en manifestant un soutien marqué à l’agression russe. Ce qui, là encore, n’est pas courant dans les cercles de réflexion français ou européens. J’ai donc dû m’adapter pour comprendre d’où parlaient mes interlocuteurs afin d’engager une conversation, même si j’ai eu le sentiment de n’être pas arrivée, à l’issue de la conférence, à convaincre de l’importance de la Chine comme acteur stratégique dans la région. Et pourtant, après l’accord signé à Pékin début avril entre l’Iran et l’Arabie saoudite scellant une forme de réconciliation ou de rapprochement entre les deux ennemis jurés, j’ai reçu de nombreux courriels de collègues du Liban qui m’ont demandé si je ne voulais pas revenir faire un cours sur l’ancrage de la Chine, puissance aujourd’hui à vocation globale, au Moyen-Orient.  

Cet entretien a initialement été publié dans le numéro 28 d’Émile, paru en juin 2023.


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