Luis Vassy : “La situation de Sciences Po s’est très nettement améliorée“
Luis Vassy est arrivé à la direction de Sciences Po il y a tout juste un an. Émile l’a interviewé pour dresser un premier bilan de ses actions et évoquer les récentes évolutions de l’institution.
Propos recueillis par Bernard El Ghoul (promo 99) et Maïna Marjany (promo 14)
Vous venez de vivre votre première rentrée à Sciences Po. Quels objectifs vous étiez-vous fixés ? Sont-ils atteints ?
Notre objectif principal – et je crois qu’il est atteint – était que cette rentrée se passe dans l’enthousiasme, dans la gaieté du savoir, le bonheur d’être à Sciences Po. J’ai été très heureux d’accueillir, pour la première fois, une nouvelle promotion, le 25 août dernier. J’ai trouvé un corps étudiant d’un niveau vraiment exceptionnel. Je ne suis pas le seul à le penser : tous les intervenants extérieurs qui viennent interagir avec les étudiants, à commencer par les personnalités venues donner les leçons inaugurales dans chacune des écoles et au Bachelor, m’ont dit qu’elles étaient impressionnées par leur niveau. En cette première rentrée, je ressens surtout une immense fierté d’être à la tête d’un établissement aussi exceptionnel que Sciences Po.
Nous vous avions interviewé juste après votre prise de fonction. Vous indiquiez alors que l’un des enjeux du moment était de changer l’image de Sciences Po à l’extérieur en « prenant le contrôle du narratif » et surtout en « démontrant ce qu’on fait réellement à Sciences Po ». Pensez-vous avoir réussi ?
Chacun reconnaît que la situation de Sciences Po s’est très nettement améliorée en un an. Ce sont les échos que j’ai de toutes parts, et je le ressens à des choses très concrètes. Ce sont maintenant les partenaires – entreprises et autres grands établissements d’enseignement supérieur de niveau mondial – qui veulent être en contact avec cette institution. Je crois que, dans une très large mesure, notre image a été réparée. Il reste encore du travail parce que, c’est normal, tout le monde ne suit pas au quotidien l’activité ou la situation de Sciences Po. Je dois aussi dire que l’attractivité de l’école pour les étudiants du monde entier et les Français est vraiment exceptionnelle.
“« L’attractivité de l’école pour les étudiants du monde entier et les Français est vraiment exceptionnelle. »”
Au sujet des admissions, l’an dernier, vous aviez annoncé considérer l’option d’un retour à des épreuves écrites pour l’admission en Bachelor. Pourquoi a-t-elle finalement été écartée ?
J’avais aussi dit qu’on évaluerait la réforme qu’on a faite dès mon arrivée rue Saint-Guillaume. Et finalement, le résultat est exceptionnel. Je veux rappeler quelques chiffres : 42 % des étudiants admis en première année de Bachelor ont eu les félicitations du jury au bac, ce qui les met dans les 0,9 % de meilleurs bacheliers de leur année. Une autre manière de le dire, c’est que 10 % de tous les élèves de France qui ont eu les félicitations du jury au bac sont à Sciences Po. Cela dit quelque chose du niveau de sélectivité de cette école.
Au fond, la procédure telle que nous l’avons modifiée en décembre dernier remplit totalement nos objectifs. Nous allons en plus être aidés par l’apparition d’une deuxième épreuve anticipée au bac en première, celle de mathématiques. De ce fait, je ne ressens pas le besoin de créer un concours à l’ancienne, si je puis dire. D’ailleurs, aucune université au monde ne recrute selon cette modalité, qui aurait comme effet négatif de nous couper d’autre chose de très positif dans le système actuel, qui est que 70 % des lycées de France envoient au moins un candidat à Sciences Po. Tout le monde est le bienvenu dans cette école dès lors qu’il a les qualités et les compétences pour être parmi nous, qu’il provienne d’un lycée de banlieue, d’un lycée rural ou d’un lycée prestigieux de centre-ville.
“« 42 % des étudiants admis en première année de Bachelor ont eu les félicitations du jury au bac. »”
Une réforme du premier cycle du collège universitaire est attendue pour la rentrée 2026. Quelles en sont les grandes lignes ?
Cette très belle réforme correspond aux besoins en formation du moment. Les grands axes sont les suivants. D’un côté, la refondamentalisation des enseignements, notamment par l’ajout de deux cours obligatoires : l’un en lecture des grands textes de théories politiques au premier semestre de première année, pour aller dès le début au fond des choses, avoir le goût des textes, le goût de la lecture. Malgré les progrès de l’IA, et même du fait des progrès de l’IA, il faut insister sur ce paramètre. Et puis, en deuxième année, un cours obligatoire en relations internationales (aujourd’hui en option) et un cours obligatoire sur les questions européennes, qui n’existe pas.
D’un autre côté, on intensifie le Bachelor, en ajoutant huit semaines de cours, puisque les semestres repassent de 12 à 14 semaines. Ces huit semaines doivent être utilisées soit pour des enseignements spécifiques qui se prêtent à de l’intensif, par exemple en épistémologie, en méthodes scientifiques en sciences sociales, en techniques quantitatives, mathématiques, peut-être en langues aussi. Notre objectif étant qu’on atteigne le niveau C1 en anglais pour tous nos étudiants, non pas en fin de master, mais en fin de Bachelor.
Le troisième élément, très attendu par les étudiants, est d’élargir le choix de majeures. Aujourd’hui, il n’y a que trois couples possibles : théorie politique et histoire, sciences politiques et droit ou économie et sociologie. On va passer à six. Il faudra choisir soit économie, soit sciences politiques et, ensuite, dans un deuxième bloc, soit histoire, soit sociologie, soit droit.
Vous avez fait appel à Florence Parly pour relancer une réflexion sur les études stratégiques à Sciences Po. Pouvez-vous nous en dire un mot ?
Au fond, je déroule le programme sur lequel j’ai été élu l’an dernier. J’avais identifié un certain nombre de ruptures sur lesquelles Sciences Po devait investir. D’abord, la rupture environnementale avec la création de l’École du [Paris Climate School, lire page suivante, NDLR], qui est d’ores et déjà un immense succès. Plus de 1 000 étudiants se sont inscrits au webinaire de présentation, ce qui, apparemment, ne s’est jamais vu à Sciences Po.
J’avais également dit que nous devions nous pencher sur la question de la conflictualité internationale. Évidemment, on parle d’un point déjà assez fort à Sciences Po, puisque nous sommes régulièrement classés troisième ou quatrième au classement QS (politics and international relations). Mais je crois qu’il y a des domaines dans lesquels on doit davantage investir, notamment les questions de sécurité, de conflits, de non-prolifération. Et au fond, le groupe de travail coprésidé par Florence Parly et Thierry Balzac, qui associe des chercheurs, des diplomates et des représentants de l’industrie, doit nous challenger sur les sujets sur lesquels la société attend que nous investissions.
Sciences Po est régulièrement accusée d’être un bastion du wokisme. Après un an passé à observer l’école de l’intérieur, qu’en pensez-vous ?
Sciences Po est accusée de tout et de son contraire en permanence. C’est simultanément le temple du conservatisme et le temple du progressisme dérégulé. Toute personne de bonne foi, qui passe un peu de temps ici, ne peut que constater que c’est d’abord et avant tout un établissement d’excellence qui réunit d’excellents étudiants mis face à d’excellents praticiens et professeurs. Puisque je parle aux anciens élèves, je pense qu’il faut qu’ils mesurent qu’ils ont eu un peu de chance car c’était beaucoup plus facile d’entrer à Sciences Po en 1997 – quand j’y suis entré – qu’aujourd’hui ! Et c’est tant mieux, car cela veut dire que l’on continue de progresser…
La situation financière de Sciences Po s’est-elle améliorée cette dernière année ?
Ça reste un enjeu, indéniablement. À court terme, nous affichons un résultat positif et les choses sont maîtrisées, mais le sujet se pose à plus long terme. L’État se trouve en difficulté et la dotation publique ne pourra pas durablement financer le modèle. D’un autre côté, on est allés trop loin en termes de hausse des frais de scolarité. Il faut donc trouver d’autres leviers pour financer le développement de cette institution. Je vais y travailler, évidemment, avec mon conseil d’administration et regarder comment nous pouvons avancer. Je pense qu’il y a un chemin.
Les Alumni, l’école… Quel bilan dressez-vous de cette année et comment voyez-vous les projets à venir ?
D’abord, je voudrais saluer Pascal Perrineau, qui achève son troisième mandat. Il a été un fantastique président des Alumni. On a très bien travaillé ensemble pendant cette année. Ensuite, puisque Sciences Po va mieux, nous devons nous unir pour surmonter les défis à venir, y compris ceux que je citais sur le modèle économique. J’aimerais que les diplômés aient vraiment la fierté du maillot et qu’ils se mettent dans une logique résolue de soutien à leur Alma mater. Cela me fait un peu de peine quand je croise des anciens élèves qui ont fait Harvard et Sciences Po, qui me disent qu’ils financent Harvard, mais pas Sciences Po. Nous devons entrer dans la même logique que les grandes universités mondiales en estimant que si on a eu la chance de passer entre les murs de la rue Saint-Guillaume, il faut, dès lors qu’on a bien réussi dans la vie, un peu sans doute grâce à son école, pouvoir contribuer en retour parce que d’autres générations d’étudiants doivent pouvoir bénéficier de la même chance. C’est ce partenariat qui assurera que Sciences Po, qui est là depuis plus de 150 ans, soit encore là dans plus de 150 ans.
“« J’aimerais que les diplômés aient vraiment la fierté du maillot et qu’ils se mettent dans une logique résolue de soutien à leur Alma mater. »”
Pour conclure, au cours de l’année écoulée, quel a été pour vous le plus beau succès ? Et en miroir, est-ce qu’il y a un échec ou en tout cas, un sujet plus compliqué que d’autres à régler ?
Le très grand succès, disons-le, c’est l’École du climat. En neuf mois, nous avons réussi à créer un grand enthousiasme autour de cet objet. On a su aller très vite, très fort, avec beaucoup d’énergie. Cela dit quelque chose de la vitalité et de l’adaptabilité de Sciences Po, ce qui fait sa force dans un environnement parfois un peu conservateur et un peu lent.
Je dirais qu’un point de vigilance est notre léger recul dans les classements internationaux, ce qui peut être lié à la situation difficile que nous avons connue au moment où ils ont été réalisés, en 2024. Nous allons voir avec les chercheurs de Sciences Po comment repartir à la hausse.
