Mauvaises nouvelles du pôle nord
Fonte de la banquise, dégel des terres et libération de gaz à effet de serre : le réchauffement de l’Arctique va s’accélérant. Et le contexte géopolitique ne laisse entrevoir aucune évolution positive. Entretien avec Camille Escudé (promo 15), docteure associée au Centre d’études internationales (CERI) de Sciences Po.
Propos recueillis par Thomas Arrivé
Comment le changement climatique se traduit-il en Arctique ?
Selon le GIEC, cette région se réchauffe trois à quatre fois plus vite que le reste du globe. La banquise d’été pourrait complètement disparaître à partir de 2040, même si elle continuera plus longtemps de se former en hiver. Elle a déjà diminué de 40 % depuis 30 ans. La plus petite surface, pour un hiver, a été mesurée en mars 2025 (on dispose de statistiques depuis 1979) et on s’attend à voir, cette année aussi, la plus petite surface mesurée pour un été. La tendance s’aggrave à cause du phénomène d’albédo : les couleurs sombres absorbent davantage la chaleur ; or moins il y a de banquise, plus la surface de l’océan s’assombrit.
Qu’en est-il des terres émergées ?
La fonte concerne aussi le pergélisol (permafrost, en anglais), c’est-à-dire les sols gelés. Des gaz sont libérés, comme le méthane, qui contribuent au réchauffement, alors que le pergélisol, traditionnellement, jouait un rôle de capteur de gaz à effet de serre. Aujourd’hui, une proportion de 30 à 40 % de la surface du pergélisol arctique est nettement émettrice de CO2. En outre, le dégel libère toutes sortes d’organismes : le virus de l’anthrax a ressurgi, il est probablement responsable de la mort de plusieurs troupeaux de rennes. Enfin, le dégel bouleverse les sols où sont construites des villes, des routes, des plateformes sur pilotis. Effondrements et cratères se multiplient.
En quoi les régions tempérées sont-elles aussi impactées ?
La fonte de l’eau douce fait monter le niveau des océans. On surveille avec inquiétude la calotte glaciaire (inlandsis) qui recouvre 98 % du Groenland : son épaisseur mesure jusqu’à trois kilomètres par endroits, c’est la plus importante après l’Antarctique. L’évolution globale du climat se traduit aussi par le déplacement du jet-stream, un courant qui expose davantage l’Écosse et le nord de l’Europe à des hivers rigoureux extrêmes, conséquence paradoxale du réchauffement.
“« L’évolution globale du climat se traduit aussi par le déplacement du jet-stream, un courant qui expose davantage l’Écosse et le nord de l’Europe à des hivers rigoureux extrêmes, conséquence paradoxale du réchauffement. »”
Est-ce que la diplomatie écologique donne déjà des résultats ?
Sur le terrain, on enregistre des événements positifs isolés ; 2024, par exemple, était une année un peu plus heureuse, avec beaucoup de neige. La courbe du réchauffement est en dents de scie, mais la dégradation reste structurelle. Les feux de forêt ne sont plus exceptionnels, les signaux ne sont pas rassurants. Et puis les cinq États présents au nord du cercle polaire sont la Russie (pour la moitié de la population et du territoire), le Canada, les États-Unis, la Norvège et le Danemark (avec le Groenland) : tous ne sont pas spécialement portés sur l’environnement.
“« La courbe du réchauffement est en dents de scie, mais la dégradation reste structurelle. »”
Où en sont les États-Unis, justement ?
Donald Trump s’est retiré de l’Accord de Paris sur le climat. Il a stoppé le soutien à l’éolien offshore. Lors de son premier mandat, il avait projeté d’autoriser les forages pétroliers dans le plus grand parc naturel américain, en Alaska. Joe Biden s’était empressé de les interdire. Dès le début de son deuxième mandat, Trump les a réautorisés. Et puis il y a les déclarations sur le Groenland. C’est un territoire qui regorge de ressources, de terres rares, d’uranium, de diamants, de rubis. Il n’y a pour l’heure qu’une petite mine d’or en exploitation. Il faudrait 30 ans pour qu’une telle industrie devienne rentable, à partir du moment où les projets seraient lancés concrètement. Le projet américain n’est peut-être pas très sérieux, sans même parler du respect de la souveraineté des Groenlandais.
Comment se positionne la Russie sur le sujet ?
Il existe un Conseil de l’Arctique qui, pendant 25 ans, a permis aux Russes et aux Occidentaux de dialoguer. Les chercheurs et les diplomates des huit pays arctiques pouvaient se parler. Mais depuis le début de la guerre en Ukraine, dans un contexte de fracture entre les Russes et les Occidentaux et d’entrée dans l’OTAN de la Suède et de la Finlande, ce Conseil est à l’arrêt. Or l’activité russe est très importante en Arctique.
Le pays tire 20 % de son PIB et de ses exportations des régions situées au nord du cercle polaire. Elles sont mises en valeur industriellement, militairement, depuis Pierre le Grand. Une ville comme Norilsk (150 000 habitants) a produit du nickel en grandes quantités, en usant et abusant du travail forcé des prisonniers du goulag. La mer de Barents a accueilli les essais nucléaires. Les Russes étaient d’ailleurs curieux du savoir-faire occidental pour dépolluer (et ont engagé la coopération scientifique du Conseil de l’Arctique à la fin de la guerre froide pour cette raison).
“« La Russie est un pays qui cherche à avoir le moins de contraintes environnementales possible. »”
Mais la Russie est un pays qui cherche à avoir le moins de contraintes environnementales possible. Total s’est retiré de Yamal, une péninsule en Sibérie qui exploite du gaz naturel : des compagnies chinoises ont aussitôt remplacé la firme française. Partout, l’absence des Occidentaux donne à la Russie les mains plus libres, ce qui ne rassure pas sur l’environnement. Ni sur le sort qui attend, au premier chef, les quelque quatre millions d’habitants de l’Arctique, russes (pour la moitié) et autres.
Professeure agrégée de géographie, Camille Escudé (docteure de Sciences Po, CERI en 2020) est également chercheuse pour l’Observatoire de l’Arctique, un programme de recherche de la Fondation pour la recherche stratégique commandité par la direction générale des Relations internationales et de la stratégie (DGRIS), au sein du ministère des Armées.
Cet article a initialement été publié dans le numéro 34 d’Émile, paru en novembre 2025.

