Emmanuelle Bury-Lucas, présidente de BNP Paribas UK
Dans le cadre de sa série d’entretiens avec des Anciens aux profils marqués par la France et le Royaume-Uni, le Cercle franco-britannique est heureux de rencontrer Emmanuelle Bury-Lucas (promo 92), présidente de BNP Paribas UK. Notre camarade dispose d’une riche expérience internationale au sein du premier groupe bancaire européen : elle y a travaillé en fusions-acquisitions, Business Development et Liquidity Management, à Paris et Bruxelles, puis comme Chief Compliance Officer (CCO) de BNP Paribas Americas à New York. Elle est revenue en Europe il y a deux ans, afin de présider la filiale britannique. Depuis Londres, Emmanuelle Bury-Lucas suit de près l’actualité de Sciences Po et organise le soutien de la banque au Sciences Po Alumni UK Charity Trust.
Propos recueillis par Olivier Marty et Caroline Philippe (Cercle franco-britannique) et Linus Terhorst (président de Sciences Po Alumni UK)
Après des études d’économie à Assas, vous avez poursuivi votre cursus à Sciences Po, dont vous êtes diplômée en 1992, puis au Collège d’Europe, dont vous sortez en 1993. Quels ont été les apports de vos différentes formations dans votre façon d’appréhender le monde et les enjeux publics et quels en ont été leurs bénéfices concrets tout au long de votre riche carrière bancaire, entamée chez Paribas en 1994 ?
J’ai été élevée par des parents qui, dans toutes les discussions familiales, prenaient soin de toujours donner du contexte et de mettre les choses en perspectives. C’est, je pense, cet environnement qui m’a poussée à choisir l’économie, et l’économie m’a apporté les fondamentaux de la compréhension des grands équilibres, des dynamiques entre les acteurs et les agrégats qui composent nos sociétés, du monétaire à l’emploi en passant par le commerce et les taxes. Puis, j’ai souhaité compléter cette formation par la compréhension des enjeux géopolitiques, religieux et sociétaux, éléments souvent moins rationnels mais si importants pour affiner la compréhension du monde et prendre de meilleures décisions. J’étais étudiante au moment de la chute du mur de Berlin et de l’assassinat d’Yitzhak Rabin… j’avais une envie existentielle de contribuer à construire un monde meilleur. J’ai consacré mes mémoires à la transition économique et à la conditionnalité de l’aide internationale aux pays d’Europe centrale.
À Sciences Po, j’étais membre de l’association Paris-Prague et nous avons organisé un formidable voyage dans la capitale tchèque pour rencontrer Vaclav Havel. Quand j’ai rejoint le Collège d’Europe, nous étions la première promotion qui accueillait des étudiants d’Europe centrale et nous célébrions la première année du campus de Natolin en Pologne ! Ce sont des évènements qui marquent profondément. À la fin de mes études, j’ai vu les banques comme des acteurs dont la mission se situe fondamentalement au cœur de l’économie, et j’ai rejoint Paribas dans une équipe dédiée à l’accompagnement des entreprises allemandes dans leur croissance, y compris en Europe centrale et orientale, avec l’idée d’accompagner la transition économique et industrielle de ces pays. Tout ce que j’ai appris et vécu pendant mes études m’a apporté non seulement des connaissances qui me sont toujours utiles, mais aussi, en particulier à Sciences Po et au Collège d’Europe, la capacité à établir une vision de long terme, une compréhension large des problématiques économiques et humaines et un état d’esprit au service de nos sociétés. J’ai aussi eu la chance de partager avec d’autres des idées et des convictions européennes et appris à travailler en groupe multiculturel. Ces éléments ont été clés dans toute ma carrière, que ce soit avec les clients, la banque ou nos employés, et m’ont amené à mettre l’intérêt général en premier.
“« Mes études à Sciences Po et au Collège d’Europe m’ont appris
à établir une vision de long terme, une compréhension large des problématiques économiques et humaines et un état d’esprit au service de nos sociétés. »”
Le Royaume-Uni est un centre névralgique pour les activités du Groupe BNP Paribas, en particulier pour sa banque d’investissement. La banque y compte près de 8 000 employés répartis dans quelque 15 villes et Londres est l’un des plus grands centres de Corporate and Investment Banking (CIB). Quels sont les atouts dont dispose le groupe sur place et quelles sont les priorités que vous mettez actuellement en œuvre ?
Nous sommes au Royaume-Uni depuis plus de 155 ans et nous approfondissons avec détermination et constance notre présence auprès des entreprises et institutions britanniques. La trajectoire de BNP Paribas UK pour 2030 s’inscrit dans cette même vision et souligne notre volonté de contribuer à une croissance durable et inclusive de l’économie britannique en finançant et conseillant nos clients de manière éthique et sur le long terme dans l’ensemble de leurs projets. Les défis d’investissement dans les infrastructures, l’énergie, la défense ou le digital sont considérables au Royaume-Uni comme en Europe, et nous avons une rôle clé à jouer dans la création de solutions innovantes entre entreprises et investisseurs.
Par ailleurs, le contexte géopolitique actuel et le nouveau gouvernement britannique favorisent le dialogue Union européenne–Royaume-Uni ainsi que les projets de coopérations industriels. Le Royaume-Uni demeure également, et de loin, la principale place financière des investisseurs en Europe et la deuxième au monde après les États-Unis. Il est donc très important d’être bien ancré au Royaume-Uni pour la proximité avec ces investisseurs et pour servir l’ensemble de nos clients en Europe. Nous avons ainsi à Londres le cœur de nos activités de marché et nous finançons l’économie britannique à hauteur de plus de 70 milliards de livres. Nous soutenons les énergies renouvelables à hauteur d’un tiers des besoins de la population, nous sommes derrière 25 % des machines agricoles et nous nous positionnons comme la 4e plus grande société de location de voitures au Royaume-Uni. L’étendue de nos services locaux est relativement unique.
“« Le Royaume-Uni continue d’être considéré comme un pays d’opportunités pour développer son activité : 56 % des membres de la CCFGB expriment en 2024 leur confiance dans l’environnement commercial actuel »”
Vous assumez depuis le début de l’année la présidence de la Chambre de commerce française de Grande-Bretagne (CCFGB), qui accompagne nos entreprises dans leur développement outre-Manche et joue ainsi un rôle clé dans le renforcement des relations commerciales entre nos deux pays. Comment voyez-vous les entreprises françaises évoluer au Royaume-Uni cinq ans après le Brexit ?
La Chambre de commerce française en Grande-Bretagne est un organisme très dynamique qui reflète bien sa communauté. Le Royaume-Uni continue d’être considéré comme un pays d’opportunités pour développer son activité : 56 % des membres de la CCFGB expriment en 2024 leur confiance dans l’environnement commercial actuel (en hausse par rapport à 42 % l’an dernier) et la communauté des affaires constate des progrès évidents. Le nombre d’entreprises contrôlées par des Français et implantées au Royaume-Uni a continué d’augmenter depuis le Brexit, passant d’environ 2 000 en 2016 à un peu plus de 2 100 en 2021 (soit une augmentation de 5 %), et les nouveaux projets d’investissements, après s’être tassés, sont à nouveau en hausse depuis 2023. Les perspectives ouvertes par le sommet Sunak-Macron de 2023 et les accords de Windsor, de même que le développement fort des énergies renouvelables d’EDF et l’arrivée de Mistral AI en 2023 constituent la toile de fond de cette dynamique. Il demeure cependant que les procédures douanières ainsi que les coûts de logistique et de transport, continuent d’être des obstacles importants pour nos membres. De même, les coûts de la main-d’œuvre ainsi que la pénurie de travailleurs qualifiés apparaissent comme des préoccupations majeures, illustrant les défis qui persistent. Nous y travaillons avec l’ensemble des parties prenantes.
Le Royaume-Uni est sorti de l’Union européenne (UE) en janvier 2020 et fait face depuis à une série de difficultés pratiques dans ses échanges avec les pays européens. Le Premier ministre, Keir Starmer, a souhaité effectuer un « reset » des relations avec Bruxelles et un sommet entre les deux parties était organisé le 19 mai à Londres. Comment voyez-vous les choses évoluer, en particulier au regard des intérêts européens ?
Nous sommes (enfin !) arrivés à un point où la relation Royaume-Uni-UE peut être abordée de manière rationnelle et en prenant en compte les besoins des deux parties pris de façon égale. J’ai été favorablement impressionnée par l’approche du gouvernement britannique comme par la volonté de l’UE d’organiser une première rencontre. Les sujets de défense ont naturellement joué un rôle catalytique. Il est encourageant de constater que le prochain sommet sera axé sur des solutions pratiques aux problèmes qui se sont posés après le Brexit, tels que la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et des normes pour les produits agricoles. Trop de temps a été perdu à cause de vagues déclarations d’intention et des objectifs quelque peu irréalistes.
“« Nous sommes arrivés à un point où la relation Royaume-Uni-UE peut être abordée de manière rationnelle et en prenant en compte les besoins des deux parties pris de façon égale. »”
Personnellement, je suis très heureuse de voir que la mobilité des jeunes est également à l’ordre du jour : les jeunes des deux côtés de la Manche ont beaucoup perdu à cause du Brexit et tout ce qui leur permet d’apprendre sur leurs voisins et de vivre dans d’autres pays ne fera que renforcer les deux camps. Pour les seuls intérêts européens, un meilleur accès à la sixième économie mondiale est évidemment bénéfique, mais le renforcement des relations avec une nation avec laquelle nous partageons des intérêts stratégiques, des valeurs éthiques et des aspirations culturelles s’avèrent, à long terme, encore plus importants. Ce sommet est un début prometteur du rapprochement.
L’Union européenne est décidée à appuyer les efforts des États membres en matière de défense, dans un contexte international inédit voyant l’alliance atlantique se rompre et l’aide américaine à l’Ukraine risquer d’être arrêtée complètement. Le secteur financier privé a naturellement un rôle à jouer pour financer les dépenses de défense aux côtés du secteur public. Comment voyez-vous son implication et le rôle de la BNP en particulier ?
En tant que plus grande banque de la zone euro par ses actifs, et de loin sa plus importante banque pour les grandes entreprises et institutions financières, BNP Paribas a un rôle important à jouer dans le financement du réarmement de l’Europe. Nous apportons déjà un soutien significatif au secteur, avec des prêts de 24 milliards d’euros à la fin de 2024 (dont 70% de clients européens et 25% américains) et nous avons participé à 33 milliards d’euros d’émissions obligataires du secteur de la défense en 2024. Les projets et chaînes d’approvisionnement en matière de défense sont un équilibre complexe d’intérêts publics et privés, impliquant des entreprises de nombreuses nations différentes, de tailles différentes et souvent avec des priorités très différentes. Pour financer avec succès un grand projet de défense, vous avez besoin d’une banque ayant une portée véritablement internationale, une expertise approfondie du secteur et des produits, des relations solides dans le secteur public et une culture axée sur le développement de relations à long terme avec les clients. Il n’y a pas beaucoup de banques qui peuvent offrir tout cela : nous le pouvons.