Stéphane Babonneau : "On n’imaginait pas que le dossier Pelicot deviendrait un fait de société"
De septembre à décembre 2024, un procès extraordinaire s’est déroulé à Avignon, opposant Gisèle Pelicot à 51 violeurs. Stéphane Babonneau, avocat pénaliste passé par les bancs de Sciences Po (promo 08), a été l’un de ses conseils dans cette épreuve judiciaire au retentissement sans précédent.
Par Lisa Dossou et Thibault Le Besne (promo 24)
De Lille à Papeete en passant par Strasbourg et Marseille, Stéphane Babonneau a suivi nombre d’affaires judiciaires. Jusqu’à la cour d’assises du Vaucluse, en septembre 2024. « Tous les avocats vont avoir un dossier qui va les marquer et les définir pour la suite de leur carrière. Je pense que pour moi, c’est celui-ci. » À la fin de l’année dernière, pendant trois mois et demi, Stéphane Babonneau a défendu Gisèle Pelicot - droguée, violée par son mari et livrée à au moins 51 autres hommes pendant neuf ans.
En 2022, lorsque son confrère Antoine Camus le contacte pour lui proposer de l’aider à accompagner Gisèle Pelicot, Stéphane Babonneau est loin d’imaginer tout ce que cela changera pour lui. « Ça représentait un défi professionnel évident. Je suis content d’avoir travaillé sur ce dossier à un moment où j’avais suffisamment d’expérience pour savoir par quel bout le prendre. » Une expérience acquise en traitant de nombreux dossiers d’infractions sexuelles, du côté des parties civiles et en défense. Depuis son premier passage en cour d’assises pour une affaire de viol, en 2012, il a voulu se spécialiser dans le droit pénal plutôt que le droit des affaires par lequel il a débuté, à Shanghai, en 2008.
Cependant, le procès des viols de Mazan est différent de tout ce que l’avocat a connu auparavant. « C’est un dossier dans lequel il y avait 51 dossiers. Il y avait 51 accusés, mais il y avait une victime. Ça, ça n’était jamais arrivé. Quand j’ai pris le dossier, pour moi, c’était un cas dans lequel il s’agissait d’assister une partie civile qui était seule face à 51 accusés et 42 avocats. C’était donc un engagement humain, humaniste. J’ai décidé de devenir avocat pour être aux côtés d’une personne. »
Une « course d’obstacles »
Stéphane Babonneau prend conscience de l’ampleur mondiale de l’affaire lorsqu’une association de femmes australiennes envoie une écharpe à Gisèle Pelicot, qui la porte lors du procès. Un message puissant sur l’universalité du combat contre les violences infligées aux femmes. « Tout le monde savait que ça allait faire parler, que ça allait sûrement devenir une des grandes affaires criminelles, mais on n’imaginait pas que ce dossier deviendrait une affaire de société, que ça enverrait une onde de choc, y compris à l’international. Pendant le procès, on nous appelait d’Inde, d’Irak, d’Espagne, de Chine, jusqu’en Australie... » Des manifestations quotidiennes, 180 médias accrédités dont 86 étrangers, des millions de réactions sur les réseaux sociaux... La société civile s’est emparée du procès des viols de Mazan pour raviver les débats autour de la domination masculine et des relations entre les femmes et les hommes. Le 20 février, le magazine américain Time plaçait Gisèle Pelicot dans sa liste des femmes de l’année 2025.
“Évoluant dans un univers où les femmes ont des responsabilités et occupent des postes de pouvoir (avocates, procureures, juges, présidentes de cour d’assises), la lutte féministe lui paraissait évidente depuis longtemps. ”
Maître Babonneau bénéficiait sans doute du soutien de l’opinion, mais il n’a jamais considéré la partie gagnée d’avance. Il compare ce procès - comme tous ses autres dossiers - à une « course d’obstacles ». L’affaire Pelicot a bouleversé la société et changé Stéphane Babonneau lui-même. « Clairement, dans ma vision du monde, il y a un avant et un après. » Évoluant dans un univers où les femmes ont des responsabilités et occupent des postes de pouvoir (avocates, procureures, juges, présidentes de cour d’assises), la lutte féministe lui paraissait évidente depuis longtemps. Désormais, Stéphane Babonneau la pense beaucoup plus urgente et donne une définition claire, systémique, de la culture du viol : « Un ensemble de comportements, de croyances qui, agrégés, forment un état d’esprit, une culture qui facilitent le passage à l’acte, c’est-à-dire l’agression sexuelle ou le viol. »
L’avocat de 42 ans voit dans l’éducation un levier pour faire évoluer un problème qui revient à chaque génération. Il confie « une marotte » : la notion d’empathie, qu’il accole à celle de respect. « C’est cette capacité à prendre en compte l’autre, ses sentiments, son existence que n’ont manifestement pas eue les accusés. » Selon lui, le manque d’empathie est à l’origine du harcèlement scolaire, puis de nouvelles formes de discriminations qui dérivent vers les questions de genre et de sexualité... Une spirale difficile à briser. C’est pourquoi Stéphane Babonneau réclame des mesures pour contrer l’influence de la pornographie et des messages particulièrement violents qu’elle peut véhiculer sur le corps des femmes ou la manière dont se déroule une relation sexuelle. L’avocat est favorable à l’instauration d’un programme obligatoire d’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité en France. Il évoque avec grand intérêt les cours d’empathie donnés dès la maternelle dans les pays scandinaves.
Dans la continuité de Gisèle Halimi
Pour lui, ce procès est comme un miroir tourné vers ses engagements passés. Depuis le collège, Stéphane Babonneau rêve du métier d’avocat. Il vit et étudie à Paris. Dès qu’il en a l’occasion, il se rend au palais de justice de l’île de la Cité, assiste à des audiences et s’imprègne de l’atmosphère aussi pesante que fascinante de cet endroit austère. Il donne corps à sa vocation en participant à des concours de plaidoirie. Effaré par les inégalités scolaires qui touchent ses camarades, il s’investit dans les syndicats lycéens, puis à l’Unef. Stéphane Babonneau arrête même sa première année de droit à Paris Panthéon-Assas pour se consacrer à ses activités militantes. « J’ai toujours eu envie de m’engager », confie-t-il. Une fois qu’il revêt sa robe, il refuse toutefois d’adopter un discours militant et se positionne « pour la liberté, tant que ça n’empiète pas sur celle des autres et que ça ne porte pas atteinte à la cohésion sociale ». Il remet cela en question aujourd’hui, après tout ce que l’affaire des viols de Mazan lui a enseigné. « À mon sens, il y a un problème qui fait que si toute une génération grandit avec l’idée que la sexualité, c’est ce qu’on voit dans la pornographie, clairement, ça peut poser un problème systémique. »
“« Le procès d’Avignon, c’est un jalon, comme un marchepied sur lequel il faut désormais que les autres construisent. »”
Le procès d’Avignon a aussi permis à Stéphane Babonneau de redécouvrir le procès d’Aix, qui avait bouleversé les perceptions sociales et juridiques du viol, en 1978. En lisant Gisèle Halimi, il s’est senti investi d’un devoir de transmission, de continuité. D’autant plus qu’Agnès Fichot, collaboratrice de l’avocate féministe qu’Emmanuel Macron souhaite panthéoniser, est venue au procès. « Le procès d’Avignon, c’est un jalon, comme un marchepied sur lequel il faut maintenant que les autres construisent. » Un discours qui résonne avec celui de Gisèle Pelicot, 72 ans, qui place ses espoirs dans la nouvelle génération pour empêcher qu’une telle affaire se répète. « Beaucoup de mes confrères [de la défense] n’ont pas compris que c’était un moment de société », regrette ainsi le conseil. Lui s’est questionné, en tant qu’avocat, mais surtout en tant que père, se demandant quelle éducation donner à son fils de 3 ans et sa fille de 5 ans. « Tous les dossiers amènent à réfléchir parce que ce sont des affaires humaines. Quand on fait du droit pénal, on ne peut pas s’en empêcher. On a tous un frère, une sœur, un enfant, des parents donc forcément, il y a des liens, il y a des choses qui vont nous toucher. »