En Répliques : à la croisée du barreau et des planches
L’association de théâtre En Répliques permet à des avocats de pratiquer cette activité artistique avec toute l’exigence et la passion qui les font vibrer. Théâtre, improvisation et création originale sont désormais au programme. Trois membres fondateurs nous ouvrent les coulisses d’un projet en pleine expansion.
Par Liséane Sabiani
En 2022, un petit groupe d’avocats relève l'absence, au sein du Barreau de Paris, d’une association de théâtre à la hauteur de son ambition : donner la possibilité à des amateurs de mettre en scène avec des moyens et une exigence de qualité quasi-professionnelle. C’est alors que la nécessité de créer un espace artistique conçu sur mesure, par et pour des avocats passionnés de dramaturgie, s’impose comme une évidence. La même année, En Répliques voit le jour.
« Au départ, nous étions six ou sept. Aujourd’hui, nous sommes plus de 70 membres. Le projet a grandi rapidement. Nous avons beaucoup évolué, à travers l’élargissement de notre équipe et la diversification de nos initiatives », explique Armelle Dunand, directrice artistique et cofondatrice de l’association. En trois ans, la troupe de comédiens s’est illustrée sur scène à de nombreuses reprises : de la représentation inspirée du roman Lettre à un jeune poète à des adaptations marquantes de pièces telles que La Photo de papa, La Réunification des deux Corées, Incendies, Les Femmes de Barbe‑Bleue et Du Vent dans les branches de Sassafras, sans oublier une création originale, Trente Jours, signée Jean‑Baptiste Riolacci. Un historique de programmation éclectique, qui affirme une volonté d’expérimenter plusieurs genres et de s’adresser à différents publics.
Lors de la création de l’association, le nom En Répliques est adopté à l’unanimité. Il trouve son origine dans un jeu de mots alliant vocabulaire juridique et théâtral. L’intention est d’insister sur la double identité de ses membres, à la fois avocats et comédiens. Au théâtre, une réplique constitue la réponse d’un acteur à son partenaire sur scène. En droit, les conclusions en réplique désignent les réponses apportées par la demande aux observations de la défense. C’est en quelque sorte « la conclusion de la conclusion », précise Armelle Dunand. Ce double sens est à l’image de la vocation de l’initiative, qui se distingue par sa capacité à conjuguer rigueur, qualité inhérente à l’exercice du droit, et créativité, nécessaire à toute forme d’expression artistique.
En Répliques, c’est aussi une association qui ose la spontanéité. « En parallèle, nous montons d’autres projets, comme les ateliers d’improvisation ouverts à tous, complète Armelle Dunand. Récemment, nous avons également constitué une équipe compétitrice d'improvisation, qui participe régulièrement à des matchs et à des cabarets. » La présidente, Eve Schenberg (promo 21), exprime toute la gratitude qu’elle éprouve à l’égard de cette part captivante de son quotidien : « On fait des choses incroyables, qu’on ne pourrait imaginer avant de les vivre pour de bon. On crée des amitiés qui sont tenues par des liens très forts ; il y a beaucoup d’émotions dans le théâtre. On partage des expériences intenses avec des gens qu’on vient de rencontrer. On apprend à les connaître comme ça. »
Pour Eve Schenberg, le fait que l’association cible uniquement les avocats dans ses campagnes d’adhésion présente deux avantages majeurs. Tout d’abord, on retrouve chez la plupart d’entre eux la volonté d'aller jusqu’au bout et un goût affirmé pour l’éloquence. « Ces deux pratiques sont toutefois très différentes. Ce n’est pas parce qu'on est bon au théâtre que l’on est bon en plaidoirie. Malgré tout, elles se renforcent mutuellement, car toutes deux permettent d’améliorer le contrôle de la voix, la gestion du stress et la maîtrise de ses émotions. » Ensuite, l’association propose des modalités pratiques adaptées à leur profession. Par exemple, des ateliers d’improvisation sont organisés à 20h30, horaire rare dans l’écosystème de l’improvisation à Paris.
“« Ce n’est pas parce qu’on est bon au théâtre que l’on est bon en plaidoirie. Mais ces deux pratiques se renforcent mutuellement. »”
Aujourd’hui, En Répliques a conscience des enjeux qui régissent ses perspectives d’évolution. Selon Charles-Hugo Lerebour (promo 19), membre fondateur et ancien secrétaire général de l’association, il s’agit tout d’abord de « consolider et élever la qualité artistique bâtie au cours des trois dernières années. Cela concerne les représentations, les ateliers d’improvisation, les adhésions, mais également les salles dans lesquelles la troupe se produit ». Dans cette optique, l’association cherche à établir des partenariats avec des lieux de diffusion qui pourraient accueillir régulièrement ses spectacles. Pour prétendre à des salles plus grandes et attirer un public plus large, En Répliques sait qu’elle doit élargir sa communication et explorer de nouveaux canaux de diffusion. C’est pourquoi elle projette de renforcer sa stratégie de visibilité, sans pour autant diminuer ses exigences en termes de qualité artistique, pierre angulaire de son identité.
Pour finir, Charles-Hugo Lerebour adresse un clin d’oeil à Albert Camus pour souligner l’importance centrale de l’authenticité dans la pratique théâtrale : « Cela peut paraître paradoxal mais lorsque l’on fait du théâtre, le but du jeu n’est pas de simuler une émotion. Quand on se met vraiment à nu, quand on est sincère et authentique face au public, celui-ci ne voit plus un comédien, mais un personnage. Il faut s’effacer derrière ce personnage, et le seul moyen d’y parvenir est d’être authentique et sincère. »
Cet article a initialement été publié dans le numéro 34 d’Émile, paru en novembre 2025.

