Fin de vie : l’itinéraire législatif se poursuit
Adoptée en première lecture en mai 2025, la proposition de loi sur l’aide à mourir poursuit un parcours entamé il y a plus de 20 ans avec la loi Leonetti. Au-delà des clivages partisans, ce texte soulève de nombreux enjeux. Virginie Tournay, directrice de recherche au CNRS, les décrypte pour Émile.
Propos recueillis par Alessandra Martinez
Quels enseignements tirez-vous du positionnement des différents groupes parlementaires sur ce texte ?
On constate que les thèmes bioéthiques ne se superposent pas toujours aux clivages partisans. Des positionnements minoritaires s’expriment dans les groupes parlementaires, ils résultent de fractures internes au sein des partis. Les divergences peuvent aussi se traduire par une faible participation... Les questions de fin de vie vont au-delà de l’opposition classique entre une vision progressiste des droits individuels et une posture plus traditionnaliste de la famille. Cela touche l’intime et la liberté de conscience. Ainsi, des députés de droite ont soutenu l’aide active à mourir, tandis que certains, à gauche, y sont restés opposés. Des parlementaires macronistes ont exprimé des réserves sur le fond de la proposition et sur la sémantique d’une « aide à mourir ».
Les lignes sont bien plus brouillées qu’elles ne l’ont été dans les débats autour de la PMA ou du mariage pour tous. Quand le sujet touche à la vie humaine dans sa dimension biologique et existentielle (fin de vie, embryon, clonage, IVG), le vote parlementaire a tendance à refléter une démarche personnelle. Mais plus le thème bioéthique s’éloigne de la matière vivante pour aller vers des sujets sociétaux, plus le vote devient stratégique, avec une discipline attendue des groupes parlementaires.
Quels ont été les arguments, à l’Assemblée nationale, des opposants à la proposition de loi ?
La question de la fin de vie présente la particularité de faire émerger deux grands types d’opposition. La première renvoie aux différentes manières d’appréhender les fondements de l’humanité. Sont exprimés les refus classiques de mettre en cause la valeur sacrée de la vie. Cet angle d’attaque se retrouve chez les adversaires de l’IVG ou de l’utilisation des cellules embryonnaires à des fins de recherche. Sur l’aide active à mourir, il rediscute le périmètre d’intervention du soignant, lequel considère qu’il n’a pas à donner la mort.
“« Il est surprenant de constater que les avancées législatives sur la fin de vie ont pour point de départ des cas limites pour lesquels la mise en place de ces nouveaux cadres n’a pas apporté de réponses. »”
Le second renvoie à la particularité du thème même de la fin de vie en tant qu’objet de démocratie procédurale. C’est le risque de la pente glissante qui est régulièrement avancé – soit la loi ferait peser sur les malades le sentiment d’être un fardeau et de devoir choisir la mort, soit le risque de banalisation de l’acte (entremêlement de l’aide à mourir avec les soins palliatifs) et d’élargissement à des catégories limites (mineurs, pathologies psychiatriques).
20 ans après la loi Leonetti, ce vote marque-t-il une évolution durable des questions bioéthiques dans le débat public ?
Il est surprenant de constater que les avancées législatives sur la fin de vie ont pour point de départ des cas limites pour lesquels la mise en place de ces nouveaux cadres n’a pas apporté de réponses. Il s’agit notamment des maladies neurodégénératives comme la maladie de Charcot (l’affaire Anne Bert, en 2016) et des patients qui présentent des états sévères d’altération de la conscience (affaires Humbert en 2005 et Lambert en 2013), qui se situent à la lisière du handicap lourd et de l’inactivité cérébrale. Aujourd’hui, la connaissance publique de tels cas est grandement améliorée, mais leur suivi médical pose toujours des difficultés avec le risque de controverses irréductibles à un niveau légal.
“« Le Sénat est traditionnellement plus réservé que l’Assemblée nationale sur le suicide assisté et l’euthanasie. »”
En outre, le débat technique sur la fin de vie a été épuisé lors de la précédente mandature, qui avait trouvé un compromis au moment de la dissolution de l’Assemblée nationale, notamment le remplacement du critère de « pronostic vital engagé à court ou moyen terme », par « en phase terminale ou avancée ». L’aggravation objectivable de l’état de santé est prise en compte, mais la durée de vie restante de la phase terminale n’est plus un facteur limitant. Ce qui permet d’élargir ce recours à des pathologies, notamment neurodégénératives, dont la durée n’est pas toujours prévisible. Malgré la fin brutale de l’examen du projet de loi sur l’accompagnement des malades et de la fin de vie, avec la dernière séance publique, en juin 2024, la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir est revenue en force. Elle a été adoptée en première lecture le 27 mai 2025, avec les modifications votées par l’Assemblée nationale avant sa dissolution.
Qu’est-ce qui pourrait empêcher l’adoption du texte par le Sénat ?
Le Sénat est traditionnellement plus réservé que l’Assemblée nationale sur le suicide assisté et l’euthanasie. Lors de la précédente mandature, il était plutôt favorable à une application renforcée des soins palliatifs et de la loi Claeys-Leonetti, déjà en vigueur. On peut s’attendre à ce qu’il remette en question les conditions d’accès, enparticulier la notion subjective de « phase avancée », qui intègre l’impossibilité concrète de définir avec une certitude suffisante un pronostic temporel individuel.
Ce débat relance la question de la démocratie participative : selon vous, aurait-il été légitime d’organiser un référendum sur l’aide à mourir ?
Le pouls de l’opinion publique sur ces questions est régulièrement mesuré. La Convention citoyenne sur la fin de vie comprenant près de 200 citoyens s’était prononcée en avril 2023 pour ouvrir l’aide active à mourir, incluant le suicide assisté et l’euthanasie, sous conditions strictes. Pour autant, un accord strict sur les valeurs est impossible. Sur des sujets qui relèvent avant tout de la démocratie procédurale, les conditions d’une pacification politique sur le long terme ne passent pas par la recherche d’une concorde morale, mais plutôt par la nécessité de préserver l’égalité en droit, c’est-à-dire de garantir aux citoyens les mêmes conditions d’ouverture et de protection par des procédures rigoureuses d’accès à ces recours d’exception. Cela étant, l’Histoire montre aussi que l’excès de consultation des citoyens n’est pas un gage de progrès social. Souvenons-nous, en janvier 1981, 63 % des Français sont encore favorables à la peine de mort, six mois avant son abolition…