La volte-face de Jacob Helberg
Après avoir soutenu le parti démocrate, Jacob Helberg a été nommé au gouvernement par Donald Trump. L’homme de 35 ans, passé par l’école de droit de Sciences Po, illustre la bascule de certains cercles américains en faveur du président MAGA.
Par Thibault Le Besne (promo 24)
Ça ne se voit pas au premier coup d’œil car ses costumes sont toujours impeccables, mais Jacob Helberg a sacrément retourné sa veste. Tout comme le compte Twitter/X de l’intéressé (fermé au public depuis peu), les relevés de la Commission électorale fédérale (FEC) traduisent sa métamorphose idéologique. Après avoir donné près d’un million de dollars pour financer la campagne de Joe Biden en 2020, Jacob Helberg a contribué trois fois plus à celle de Donald Trump et des républicains. Le 16 août 2021, il soutient la convention démocrate avec 36 500 dollars. Le 8 février 2022, il donne 14 200 dollars à la convention républicaine. Si ce ne sont pas les tornades qui ont secoué le Midwest entretemps, en décembre 2021, qui lui ont retourné les idées, comment expliquer son saut de l’âne à l’éléphant ?
Le virage à droite de la tech
Jacob Helberg appartient à deux communautés qui ont basculé de l’électorat démocrate vers la sphère républicaine et MAGA (pour « Make America Great Again », le slogan de Trump) lors de la dernière élection présidentielle : la tech californienne et les Juifs américains. Son glissement a commencé dans la Silicon Valley en 2021 et s’est confirmé après l’attaque d’Israël par le Hamas le 7 octobre 2023.
De mère française et de père américain, Jacob Helberg a passé son enfance entre Bruxelles et Vaux-sur-Seine (Yvelines). Il obtient son bac au lycée Jean-Monnet puis s’inscrit à l’École de droit de Sciences Po Paris, mais la quitte au bout d’un semestre. Il part aux États-Unis, où il est diplômé de l’Elliott School of International Affairs, puis de la New York University.
“Jacob Helberg est marié depuis 2018 à Keith Rabois, un investisseur de la Silicon Valley aux idées très conservatrices”
Après avoir encouragé Hillary Clinton en 2016, Helberg se mobilise en 2019 pour la candidature de Pete Butigieg à la primaire démocrate, jusqu’à ce que son poulain ne se rallie à Joe Biden, en mars 2020. Pete Butigieg avait attiré les élites de la tech californienne – à l’instar de Mark Zuckerberg –, dont il partageait l’idéologie libérale de centre gauche et le parcours universitaire dans les mêmes écoles prestigieuses. Des points communs qui se sont étiolés. En fin de campagne, Zuckerberg, le patron du groupe Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp) a, tout comme Helberg, revu sa position et versé un million de dollars au fonds d’investiture de Donald Trump. Ce virage a aussi été pris à très grande vitesse par Jeff Bezos (Amazon), Sundar Pichai (Google) et Elon Musk (Tesla, SpaceX), agacés par la politique fiscale de Joe Biden et les menaces de démantèlement des procureurs antitrust.
Par ailleurs, Jacob Helberg est marié depuis 2018 à Keith Rabois, un investisseur de la Silicon Valley aux idées très conservatrices, membre de la « PayPal Mafia » (avec notamment Peter Thiel et Elon Musk) et l’un des plus gros donateurs du Grand Old Party.
TikTok, son cheval de bataille
Un événement dramatique achève de convaincre Jacob Helberg de passer dans le camp républicain. Le 7 octobre 2023, les attentats du Hamas à la frontière israélienne choquent le jeune homme, dont les grands-parents paternels ont été déportés à Auschwitz et libérés par l’Armée rouge. Le jour des attaques du Hamas, Jacob Helberg publie deux tweets qui enjoignent à Israël de répondre « avec une force écrasante ». Plus de 54 000 Palestiniens ont été tués depuis le début de la riposte de Tsahal. Discret sur sa foi jusque-là, Jacob Helberg poste en janvier 2024 une photo où il prie sur le Mur des Lamentations, en se présentant comme un « Sioniste fier ». Il est déçu par la réaction d’une partie des démocrates. En mai 2024, il confie au Jewish Insider avoir été atteint par les « manifestations antisémites sur les campus universitaires » et se dit « fondamentalement en désaccord » avec le « principe d’organisation » de la jeunesse militante de gauche, « qui repose de plus en plus sur la division du monde entre oppresseurs et opprimés ».
Cet entretien au média communautaire est utile pour comprendre le logiciel Jacob Helberg. Il en profite pour alerter les Juifs américains sur un autre danger. « Le Parti communiste chinois est, à mon avis, philosophiquement antisémite et politiquement anti-Israël. Il considère Israël comme une option américaine au Moyen-Orient », déclare-t-il, avant d’affirmer que TikTok, dont les liens avec Pékin sont troubles, « promeut directement des contenus antisémites virulents ».
“« Le Parti communiste chinois est, à mon avis, philosophiquement antisémite et politiquement anti-Israël. Il considère Israël comme une option américaine au Moyen-Orient »”
TikTok est le cheval de bataille de Jacob Helberg, qui en réclame l’interdiction. La « loi TikTok » adoptée en avril 2024 par le Congrès américain (qui demande à la société mère ByteDance de céder son réseau social à une entreprise américaine ou de le fermer aux États-Unis) est le fruit d’un intense travail de lobbying de Jacob Helberg.
Depuis quelques années, celui-ci s’érige en faucon antichinois. En plus de ses nombreux tweets pointant depuis 2020 les risques de la dépendance américaine à l’industrie chinoise, il défend ses idées dans la presse d’affaires (sur CNBC et Fox Business, dans le Wall Street Journal). En novembre 2023, il réclame par exemple d’« interdire toutes les applis chinoises » et d’imposer « 25% de droits de douane sur les produits technologiques chinois ».
La mutation en lobbyiste
Jacob Helberg publie aussi un livre (The Wires of War : Technology and the Global Struggle, Avid Reader Press/Simon & Schuster, octobre 2021, non traduit en français), qui lui permet de s’introduire dans les cercles de décideurs, dont l’illustre Brookings Institution. L’ancien président républicain de la Chambre des représentants Kevin McCarthy le repère et le nomme à la Commission d’examen économique et de sécurité États-Unis-Chine. Cet organe rend compte au Congrès des menaces que la Chine fait peser sur la sécurité nationale américaine. De janvier 2023 à décembre 2024, Helberg rencontre de nombreux élus des deux partis et prépare la « loi TikTok ».
Officiellement conseiller technologique du PDG de Palantir Technologies (dont son mari Keith Rabois est un actionnaire important), Jacob Helberg devient un véritable lobbyiste. Il pense que les mondes de la tech et de la politique se sont éloignés pendant le mandat de Joe Biden, ce qui a d’après lui affaibli les États-Unis dans leur « guerre grise » face à la Chine. Il cofonde en 2023 le forum annuel Hill & Valley pour réunir les législateurs du Capitol Hill et les entrepreneurs de la Silicon Valley. Au programme de la dernière édition, le 30 avril : « La reconstruction de l’Amérique » (après l’interdiction de TikTok en 2023 et les dangers des progrès de la Chine dans l’intelligence artificielle en 2024).
“« Les figures de la tech capitalisent sur la ferveur antichinoise à Washington »”
D’après un article du Washington Post publié le 2 mai 2024, « ce groupe est devenu l’une des plus puissantes forces de lobbying de l’industrie technologique à Washington, aidant à rédiger et à promouvoir l’un des seuls textes législatifs technologiques du pays depuis des décennies : une loi signée par le président Biden appelant à la vente forcée ou à l’interdiction de TikTok ». Comme une partie de l’élite de la tech américaine, Jacob Helberg considère que les républicains sont plus attentifs que les démocrates à la menace chinoise, ce qui explique aussi sa mutation idéologique.
Un article du New York Times publié le 28 mars 2024 explique que « les figures de la tech capitalisent sur la ferveur antichinoise à Washington » pour pousser leurs pions dans la course à l’IA. Les entreprises spécialisées ont ainsi fortement augmenté leurs dépenses en activités d’influence. « L’année dernière, plus de 450 entreprises, organisations à but non lucratif, universités et groupes commerciaux ont déclaré avoir fait du lobbying sur l’IA, soit plus du double du nombre d’organisations de l’année précédente, selon OpenSecrets, un groupe de recherche à but non lucratif, détaille le New York Times. Palantir a plus que doublé ses dépenses de lobbying l’année dernière, atteignant cinq millions de dollars, soit le niveau le plus élevé jamais enregistré. »
Si Donald Trump compte réduire les dépenses militaires, les leaders de la Silicon Valley espèrent décrocher des contrats de défense avec leurs outils dopés à l’IA. C’est précisément le domaine de Palantir Technologies, l’employeur de Jacob Helberg, qui a conclu un contrat avec l’armée israélienne en janvier 2024.
Ancien soutien de Black Lives Matter
Le magazine économique Forbes surnomme Helberg « Silicon Valley’s Trump Whisperer », que l’on pourrait traduire par « celui de la Silicon Valley qui chuchote à l’oreille de Trump ». D’un premier contact en octobre 2023 à Mar-à-Lago à un premier rendez-vous en avril 2024, l’ascension de cet opportuniste dans l’entourage trumpiste est fulgurante. Au point de devenir, le 18 juin 2025, à 35 ans, l’une des plus jeunes personnalités du gouvernement, en tant que sous-secrétaire d’État chargé de la croissance économique, l’énergie et l’environnement. Le Sénat, à majorité républicaine, a validé sa nomination sans observer de conflits d’intérêts.
Et tant pis si certains engagements du ministre entrent en contradiction avec le discours du 47e président des États-Unis. Jacob Helberg soutenait publiquement le mouvement Black Lives Matter et l’ONG Rainbow Railroad (qui aide les personnes LGBTQI+ persécutées à fuir leur pays), alors que Trump est accusé d’alimenter la haine envers les minorités. No problem pour Helberg, qui a même commencé à revoir sa position publique sur l’interdiction de TikTok, dont la cession a été reportée de plusieurs mois par Donald Trump.