Jérôme Durain : une loi contre le narcotrafic

Jérôme Durain : une loi contre le narcotrafic

Une commission d’enquête du Sénat a mis en évidence l’ampleur du trafic, qui ne se cantonne plus à certains quartiers marseillais. La loi votée dans la foulée donne plus de moyens aux enquêteurs et à l’administration et renforce la protection des personnes menacées.  

Propos recueillis par Thomas Arrivé

Quelle a été la chronologie de votre travail sur le narcotrafic ?

Entre 2022 et 2023, une série de « narco-homicides » a fait près de 80 morts à Marseille. Une commission d’enquête a été mise en place au Sénat. Elle a travaillé depuis le mois d’octobre 2023 jusqu’au 14 mai 2024. Nous avons auditionné 200 personnes, réalisé sept déplacements sur le territoire national ainsi qu’à Anvers. Nos travaux ont suscité un grand intérêt, ils ont été très suivis sur les réseaux sociaux. À l’arrivée, nous avons produit un rapport qui a été adopté à l’unanimité.

C’était une commission transpartisane : j’en étais le président – j’appartiens au Parti socialiste – et le rapporteur en était Étienne Blanc – qui appartient aux Républicains. Nous avons fait une proposition de loi en juillet 2024. Nous en avons parlé avec les gouvernements successifs, qui ont souscrit à l’idée de combattre le narcotrafic par le vecteur législatif. Pour une question qui relève ordinairement du domaine régalien, c’est plutôt une originalité. Je dirais « une originalité heureuse » par les temps qui courent où les occasions sont rares de voir réussir les initiatives transpartisanes, tout comme la coopération entre le Parlement et l’exécutif. La loi a été examinée à l’Assemblée nationale les 28 et 29 avril et adoptée à une large majorité.

Quelles étaient les conclusions de votre enquête ?

Avant nos travaux, le regard porté sur le narcotrafic sous-estimait l’ampleur du phénomène : c’était une simple préoccupation de quelques maires et quelques services, une activité limitée à certaines zones urbaines, un problème en périphérie de la vie sociale. Nous avons démontré que cette activité avait au contraire une emprise sur des espaces entiers (avec des checkpoints, des couvre-feux) et qu’elle ne concernait pas seulement Marseille : elle avait une prévalence sur tout le territoire national. Je rentre du Vaucluse : le narcotrafic mine des sous-préfectures, des villages, n’importe où en France.

« Ce sont les règlements de comptes qui accélèrent la prise de conscience du problème aux yeux de tous. »

Ce trafic est source de corruption, avec l’appât du gain, bien sûr, mais également à cause de la peur qu’il inspire à certains individus, pour eux-mêmes ou pour leurs proches, s’ils ne collaborent pas. Grâce à notre enquête, le regard porté sur le problème a vraiment changé d’échelle.

Quel est l’ennemi en face ? Y a-t-il un seul réseau unifié ? Est-il français ou international ? Porte-t-il seulement sur la drogue ou s’étend-il à d’autres activités illégales ?

La drogue n’est pas la seule activité, mais c’est la matrice. Viennent ensuite la traite d’êtres humains, l’extorsion, les homicides… On n’est pas en face d’une mafia unique, plutôt de réseaux : disons une centaine de familles, avec 250 000 personnes qui vivent du trafic en France. Il y a bien sûr une dimension internationale, avec des spécialisations. D’une manière générale, des professions bien distinctes œuvrent : des chimistes, des financiers, des tueurs… C’est d’une grande efficacité : l’acheminement, etc., tout fonctionne. Le point faible, finalement, c’est l’aspect « règlements de comptes ». En comparaison, la consommation provoque peu de morts. Ce sont ces règlements de comptes, ces gestes criminels, avec le phénomène des baby killers, qui accélère la prise de conscience du problème aux yeux de tous.

Que contient la loi adoptée le 29 avril ?

Jérôme Durain (promo 93), sénateur PS de Saône-et-Loire, a porté la loi sur le narcotrafic, adoptée à l’assemblée le 29 avril dernier.  

Déjà, elle permet d’ouvrir les yeux, de faire preuve d’une certaine lucidité par rapport à la gravité de la menace. Ensuite, elle fait de la lutte contre le narcotrafic une politique publique prioritaire, comme a pu l’être celle contre le terrorisme. Jusqu’à présent, le narcotrafic profitait d’un défaut de circulation de l’information entre administrations : ministère des Finances, ministère de l’Intérieur, chancellerie, police, gendarmerie, douanes, etc. Il s’agit d’y remédier par une plus grande verticalité. C’est ainsi que sur le plan judiciaire, la loi crée un parquet national anti-criminalité organisée (Pnalco) et, sur le plan répressif, un état-major anti-criminalité organisée. De nouveaux outils sont mis en place, depuis le gel des avoirs jusqu’à la fermeture des commerces de blanchiment, en passant par le statut des repentis. L’organisation pénitentiaire est impactée aussi. Et les enquêteurs, les magistrats, les douaniers, disposent de moyens supplémentaires. En résumé, nous avons voulu réagir à l’asymétrie qui existait entre les criminels et l’État. Nous pouvons désormais espérer lutter à armes égales face à leur agilité numérique, par exemple. La nouvelle loi répond aussi au besoin de protection des personnes et des agents qui se sentent menacés.

Des attaques ont eu lieu en avril contre les prisons et le personnel pénitentiaire, revendiquées par un groupe pour la « Défense des droits des prisonniers français » (DDPF, sigle retrouvé aux abords des prisons prises pour cible), en plus de vidéos et de menaces sur la messagerie Telegram. C’est la preuve que vous avez touché juste ?

Les narcotrafiquants ne se laissent pas faire. Ce n’est pas la première fois que l’État est visé. Il était temps de réagir. Certains États d’Amérique latine sont parfois qualifiés de « narco-États ». Même en Europe, les Pays-Bas ont pu être accusés de la sorte. La France n’en est pas là. Le coup porté contre le narcotrafic par cette loi espère amoindrir l’ampleur prise par l’activité ces dernières années.

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