Les nouvelles habitudes de consommation d’alcool

Les nouvelles habitudes de consommation d’alcool

Celle-ci a été divisée de plus de moitié entre 1961 et aujourd’hui. Titulaire de la chaire Santé de Sciences Po et membre du Centre de sociologie des organisations, Daniel Benamouzig analyse l’évolution des habitudes individuelles en France et les pratiques commerciales qui en découlent.

Par Daniel Benamouzig (promo 18)

Chaque année, la consommation d’alcool cause la mort de 40 000 personnes en France – l’équivalent d’un crash d’avion tous les trois jours. En 2017, 23,6 % des personnes âgées de 18 à 75 ans dépassaient les repères de consommation. Malgré les difficultés à réguler ce secteur, la consommation globale est à la baisse, de manière cependant moins nette que pour le tabac, l’autre grand faucheur de vies humaines.

En France, la consommation d’alcool présente trois caractéristiques, qui décrivent un profond changement d’habitudes. La première est la baisse continue et durable de celle-ci : la consommation moyenne annuelle d’alcool pur par habitant de plus de 15 ans est passée de 26 litres en 1961 à 10,5 litres aujourd’hui. 

Deux fois plus de bière

La deuxième tendance concerne les changements de contextes de consommation. Depuis les années 1960, la consommation quotidienne d’alcool associée à la prise de vin lors des repas à domicile a cédé la place à une consommation occasionnelle, liée à des moments de sociabilité (rencontres, célébrations, afterwork...). La proportion de personnes de 15 à 75 ans consommant de l’alcool quotidiennement est passée de 24 % en 1992 à 8 % en 2021. Ces nouveaux comportements entraînent une augmentation de la consommation hors du domicile familial. Nous sommes passés de « boire toujours un peu » à « boire parfois en quantité ». On observe une augmentation des alcoolisations ponctuelles importantes et des ivresses régulières, y compris chez les femmes, auparavant moins concernées.

La troisième tendance de la consommation de boissons alcoolisées en France concerne un changement dans le type d’alcool consommé. Tandis que la consommation de vin décroît, la consommation de bière a doublé depuis les années 1960.

La quête de cibles jeunes et féminines, ainsi que la hausse de la consommation hors du domicile sont des moteurs de croissance pour l’industrie.

Ces modes de consommation diffèrent entre jeunes et personnes plus âgées. Les premiers consomment moins souvent mais plus intensément hors du domicile, tandis que les seconds privilégient une consommation quotidienne et modérée de vin au sein du foyer. Parmi les 18-24 ans, 51,45 % déclarent avoir eu au moins une alcoolisation ponctuelle importante dans l’année, contre 20 % chez les 65-75 ans.

Ces évolutions donnent lieu à des stratégies économiques et politiques de la part des producteurs d’alcool qu’a étudiées un récent rapport de la chaire Santé de Sciences Po. La quête de cibles jeunes et féminines, ainsi que la hausse de la consommation hors du domicile sont des moteurs de croissance pour l’industrie. Pour atteindre ces nouvelles cibles et situations de consommation, les producteurs facilitent l’accès à la consommation d’alcool (qui est par exemple gratuite lors de soirées destinées à des publics jeunes, dont les habitudes de consommation sont en formation) et créent des formats « à emporter », des boissons plus « jeunes » ou « féminines », parfumées par exemple. Les producteurs font aussi attention à faire activement obstacle à toute réglementation pouvant entraver ces nouvelles stratégies, telles que des mesures visant à diminuer la consommation de ces nouvelles boissons ainsi que des réglementations liées à la consommation hors du domicile (heures de fermeture des bars et discothèques, boisson auprès des enceintes sportives...).

Alcooliers et syndicats montent au créneau

Les efforts des autorités sanitaires pour renforcer ou simplement maintenir la régulation des boissons alcoolisées font face à une intense activité politique de l’industrie de l’alcool, qui entend affaiblir la régulation en vigueur et s’oppose à toute perspective de nouvelle régulation. Les acteurs économiques du secteur s’organisent pour faire valoir leurs préoccupations, à l’instar, en France, de différents syndicats professionnels, comme Vin & Société pour la filière viti-vinicole, l’Association des Brasseurs de France, la Fédération française des spiritueux ou la Fédération française des vins d’apéritif, pour ne citer que les acteurs les plus importants impliqués dans ce travail politique.

Pour saisir ces évolutions et les stratégies politiques auxquelles elles donnent lieu, le travail que nous avons réalisé avec Joan Cortinas-Munoz établit une cartographie aussi complète que possible de l’ensemble des activités politiques des acteurs de la filière alcool en France visant à éviter des mesures de régulation. Il restitue les logiques de ces acteurs au regard de la structure du marché et de ses dynamiques en poursuivant trois objectifs : il analyse le cadre réglementaire et la structure du marché des boissons alcooliques ; décrit les activités politiques des producteurs d’alcool et il explore les facteurs de succès et d’échec des alcooliers dans les espaces de décision politique.

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