Le mariage pour tous, récit d’une loi qui a fracturé la France

Le mariage pour tous, récit d’une loi qui a fracturé la France

Promesse de campagne de François Hollande en 2012, le projet de loi sur le mariage pour tous a révélé au grand jour les oppositions de la droite et de la gauche sur la notion de famille. Dix ans plus tard, les grands acteurs de cette loi racontent.

Vote solennel de la loi du mariage pour tous, le 23 avril 2013. (Crédits : Ericwaltr)

Il fait chaud en cet après-midi du 29 mai 2013. Une foule compacte est rassemblée sur le parvis de l’hôtel de ville de Montpellier. Plus de 250 journalistes internationaux ont été accrédités pour ce mariage sous haute tension, tandis que des dizaines de policiers en civil ont été éparpillés dans la masse. Vers 17h45, Vincent Autin, 40 ans, et Bruno Boileau, 30 ans, arrivent en costume sur l’air de Love, la chanson de Nat King Cole. Après un bref discours, la maire socialiste de Montpellier Hélène Mandroux procède à la lecture de l’article 212 du Code civil : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance. » Il est 18 h lorsque les deux amoureux se disent « oui », devenant ainsi le premier couple homosexuel marié de France.

Dix ans après la promulgation de la loi sur le mariage pour tous, promesse de campagne de François Hollande en 2012, plus de 40 000 mariages homosexuels ont été célébrés en France, dont 7 000 la première année. Dominique Siliau, retraité parisien de 69 ans, a célébré son mariage en 2014, à Mantes-la-Jolie. Un geste symbolique lorsque l’on sait que la ville est tenue par la droite depuis 30 ans. « Ce côté transgressif m’amusait, raconte-t-il. On était une centaine, des homos, des hétéros, des enfants… ».

Un symbole et des droits

Si Dominique s’est marié à 60 ans, c’est d’abord pour célébrer l’accès à l’égalité dans la loi. Mais aussi pour avoir certains droits : « Je suis propriétaire, si je meurs, c’est mon mari qui héritera de mon appartement », explique cet instituteur à la retraite. En 2013, seul le mariage permettait aux couples homosexuels d’accéder à la pension de réversion du conjoint en cas de décès, à la nationalité française pour les couples binationaux après quatre ans d’union ou encore au droit à l’adoption (désormais autorisé avec le PACS). « La loi a banalisé quelque chose qui apparaissait comme une exceptionnalité dérogatoire », résume ainsi Jean-Jacques Urvoas, ancien président socialiste de la commission des lois de l’Assemblée nationale. 

C’est lui qui, à l’été 2012, a choisi Erwann Binet comme rapporteur du texte, en raison de son profil : « Il faisait partie de ces jeunes parlementaires prometteurs. Il était allé chez les scouts, était hétéro, il avait des enfants et on voulait, par sa présence, éviter un débat qui aurait été trop facile à stigmatiser pour l’opposition », raconte l’ancien ministre de la Justice. Pourtant, dès la rentrée, les députés de droite s’inquiètent que la loi sur le mariage pour tous ne serve de cheval de Troie à l’ouverture de la Procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes ou la Gestation pour autrui (GPA). « L’inquiétude est fondée, le modèle traditionnel de la famille a disparu, ce n’est plus une norme qui s’impose à toutes et tous », estime François de Singly, sociologue de la famille et professeur émérite à l’Université Paris Cité.

Erwann Binet, rapporteur du texte, à l’Assemblée nationale. (Crédits : Ericwaltr)

Symbole du contrôle de l’État sur la famille

À l’Assemblée nationale, l’UMP et l’UDI se lancent dans une guérilla parlementaire en déposant 5 000 amendements contre le texte. « L’opposition se découvrait opposition, il fallait démontrer que malgré sa défaite aux législatives, elle gardait sa capacité à ralentir les projets de la majorité », analyse Jean-Jacques Urvoas. François de Singly y voit aussi une explication plus idéologique : « Le sens de la résistance s’explique par le refus de considérer que les hommes, et encore plus les femmes, ont le pouvoir sur eux-mêmes. Les individus devraient pouvoir être contrôlés par l’État pour rester, ainsi, dépendants. »

À l’extérieur de l’Hémicycle aussi, les associations opposées à la loi s’organisent. Le 17 novembre 2012, le collectif interassociatif La Manif pour tous, organise sa première manifestation publique. Près de 100 000 personnes défilent dans tout le pays, scandant un slogan devenu célèbre : « Un papa, une maman ». Le jeune rapporteur Erwann Binnet en est le premier surpris : « Des primaires du parti socialiste aux législatives en passant par la présidentielle, pas une seule fois je n’avais eu de remarque sur le mariage pour tous, d’autant qu’il était inscrit dans le programme de François Hollande ! », insiste-t-il. 

Cortège parisien de La Manif pour tous, en avril 2013 (Crédits : Paralacre)

Les premiers mois, les manifestations restent pacifiques, malgré des slogans ouvertement homophobes. De retour en train d’un déplacement à Marly-le-Roi, Dominique Siliau se retrouve mêlé à des militants de La Manif pour tous qui partaient défiler à Paris : « On se sentait agressés, ne serait-ce que par leur présence. Ces gens-là avaient l’impression de détenir une vérité supérieure par rapport à la notion de famille, qui était déjà en déclin. J’étais scandalisé par leur intolérance », se rappelle le retraité.

Violences homophobes

Plus La Manif pour tous prend de l’ampleur, plus elle est rejointe par des groupuscules violents. Les menaces de mort adressées aux députés pro-mariage pour tous se multiplient, la permanence d’Erwann Binet est saccagée, mais ce dernier refuse par deux fois une protection policière. Surtout, les actes à caractère homophobe augmentent de 78 % par rapport à l’année 2012. Le 5 avril 2013, pendant que le projet de loi est débattu dans un Sénat assiégé par les manifestants et contre-manifestants, Wilfred de Bruijn, professeur de néerlandais, est violemment agressé dans les rues de Paris alors qu’il se promène main dans la main avec son petit ami. 

« Ce texte avait une dimension personnelle qui touchait tout le monde dans son histoire, à travers la paternité et la maternité. C’est une loi pour laquelle nous avons tous mis nos tripes sur la table . »
— Erwann Binet, député socialiste (2012-2017) et rapporteur du texte de loi

À l’Assemblée nationale aussi, les débats se font de plus en plus virulents. Dans la nuit du 18 au 19 avril, un début de bagarre oppose des députés UMP à ceux de la majorité. « Ce texte avait une dimension personnelle qui touchait tout le monde dans son histoire, à travers la paternité et la maternité. C’est une loi pour laquelle nous avons tous mis nos tripes sur la table », avance Erwann Binet, qui regrette toutefois de ne pas avoir davantage mobilisé la justice face aux dérives. Le rôle de cette dernière reste d’actualité : seules 20 % des personnes LGBT+ agressées déposent plainte selon l’enquête « Cadre de vie et sécurité », menée sur la période 2012-2018.

Plusieurs élus UMP défilent dans les rangs de la Manif pour tous. Ici dans le cortège parisien du 13 janvier 2013. (Crédits : Marie-Lan Nguyen)

Un progrès au goût amer

La bataille du mariage pour tous restera marquée par le nombre d’auditions menées par le groupe socialiste : des juristes, des pédopsychiatres et même les représentants des cultes religieux sont entendus par les parlementaires. Certains récits personnels ont fait pencher la balance du côté de la majorité plus que les analyses d’experts. Le 20 décembre 2012, pour la première fois, les premiers concernés par le mariage pour tous racontent leur quotidien de famille homoparentale non reconnue par la loi : « Si je décède, nos deux enfants retourneraient à l’orphelinat », raconte par exemple Cyril Isabello, père de deux petits garçons adoptés à l’étranger. On y entend aussi le témoignage émouvant de Pablo Seban, dont la mère a découvert son homosexualité sur le tard, qui s’agace de voir la question des enfants d’homosexuels instrumentalisée par La Manif pour tous : « C’était insupportable. L’homosexualité de mes mamans n’avait jamais eu d’importance dans ma vie et tout d’un coup, l’homophobie me sautait à la figure de la part de gens qui prétendaient vouloir défendre les enfants. »

Vote solennel de la loi sur le mariage pour tous dans l’Hémicycle, le 23 avril 2013. À l’issue du vote, accolade entre Christiane Taubira et Jean-Jacques Urvoas, alors président socialiste de la commission des lois de l’Assemblée nationale. (Crédits : Eric Walter)

Le 23 avril 2013, après six mois de débat, l’Assemblée nationale adopte par 331 voix contre 225 le projet de loi sur le mariage pour tous. Pourtant, 10 ans plus tard, Pablo Seban retient surtout « l’explosion de l’homophobie, qui n’a pas vraiment disparu. Je pense que La Manif pour tous a gagné le débat sur la GPA et sur le fait que les homosexuels restent suspects ».

« Je pense que La Manif pour tous a gagné le débat sur la GPA et sur le fait que les homosexuels restent suspects. »
— Pablo Seban, auditionné à l'Assemblée le 20 décembre 2012

Après avoir été écartée sous le mandat de François Hollande, la PMA pour toutes a finalement été adoptée en 2021. De son côté, Dominique Siliau estime qu’il est toujours plus compliqué d’adopter pour les couples homos que pour les couples hétéros. Quant à la GPA, qui représentait la ligne rouge du gouvernement en 2013, elle est désormais approuvée par une majorité de Français. Erwann Binet en est convaincu : « Je pense qu’on verra de notre vivant une certaine forme de légalisation de la GPA. » 

Cet article a initialement été publié dans le numéro 27 d’Émile, paru en février 2023.



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