Et Radio Nostalgie conquit les auditeurs…
En 2024, c’est devenu la première station musicale de France. Depuis, Nostalgie occupe une solide deuxième place derrière NRJ. Le journaliste et critique musical Bertrand Dicale (promo 83) explique ce succès par des habitudes générationnelles.
Propos recueillis par Thibault Le Besne (promo 24)
Comment analysez-vous la réussite de Radio Nostalgie ?
Ce succès est le fruit d’un changement de génération. Nostalgie est née dans les années 1980 en diffusant de la musique des années 60-70. Au début, la programmation de la station est une réplique de celle de SLC, Salut les copains, qui décolle en 1961-62. Les jeunes auditeurs des années 80 ont gardé des habitudes d’écoute qui sont beaucoup plus importantes en termes de volume que celles des années 60-70. Parallèlement, la musique qu’ils écoutent, à laquelle ils sont restés fidèles, avec des valeurs rock, world, électro douce, dance, punk… est en train de refluer précisément sur Nostalgie. Ils ne trouvent plus de musique qui leur convient dans le paysage radiophonique. Pour en écouter, la génération X se retrouve maintenant sur Nostalgie.
Comment expliquer le gain important d’auditeurs de la station l’année dernière ?
Contrairement à ce qu’on imagine, les auditeurs ont d’abord un plaisir immédiat, ensuite un plaisir de fidélité. Des gens ne se sont peut-être même pas rendu compte à proprement parler qu’ils écoutaient Nostalgie. Ils ont trouvé cette radio qui les fait kiffer. Il y a aussi des choix sur la distribution de la publicité. L’effondrement d’une grande radio populaire comme RTL, qui se vide en abandonnant une certaine variété qu’ils jugent trop « datée » et où il y a beaucoup de minutes de pub par heure, et l’effondrement d’Europe 1, qui n’est plus du tout une radio de loisir ou d’écoute distraite, expliquent certainement en partie cette performance de Nostalgie. C’est aussi la confirmation d’un glissement culturel et sociologique. On commence à avoir des gens des années 80, qui ont grandi en écoutant les grandes années Top 50 (1984-1993), qui sont moins actifs, qui arrivent à la retraite, donc qui ont plus de temps. Il y a plus de gens de plus de 60 ans que de moins de 20 ans en France. Les industries culturelles gagnent souvent beaucoup plus avec les premiers qu’avec les seconds.
Les gens qui écoutent Nostalgie pour retrouver les années 80-90 ont entre 40 et 70 ans. C’est la classe modale en France [la plus importante dans la pyramide des âges, NDLR]. Une génération culturelle, une génération musicale, c’est grosso modo cinq ans, mais ça s’étale sur 10 ans en fait. Certains sont plus précoces, d’autres plus tardifs. Par exemple, je suis né en 1963. Les Beatles se séparent quand j’ai sept ans mais je suis d’une génération qui les a massivement écoutés, qui connaît tous leurs albums par cœur. Et en même temps – bon je suis Antillais, ça explique aussi – j’ai une connaissance et une compétence du reggae dès que j’ai huit ans. Quand j’aurai 15-16 ans, les copains en métropole découvriront le reggae avec un album de Bob Marley alors que pour moi, il est trop mainstream et j’écoute déjà plein d’autres trucs. Une génération, ça bouge. Ce goût pour la musique des années passées a-t-il toujours existé ? Bien sûr ! Tous mes copains d’enfance avaient chez eux des compilations de Ray Ventura et ses Collégiens. Tout le monde écoutait Charles Trenet. Aujourd’hui, Orelsan est un expert en première division de Charles Trenet. Regardez le nombre d’experts de la soul des années 60. Dans le hip-hop des années 1990-2000, DJ Mehdi n’a pas samplé un titre qui avait moins de 20 ans. Ça a toujours été comme ça et ça continuera.
Nostalgie a-t-elle le monopole de la musique des années 80-90 ? Qui sont ses concurrents ?
Non, pas du tout. France Bleu – devenue Ici – est très présente là-dessus. Et il ne faut pas oublier qu’on est dans la post-modernité : tout le monde écoute de tout, les gens écoutent ce qu’ils veulent. De plus en plus de consommateurs utilisent des playlists. Mais paradoxalement, la génération éveillée à la musique dans les années 1980 n’est peut-être pas encore la plus ouverte à la playlist Spotify. Peut-on dire que les auditeurs sont plus nostalgiques aujourd’hui ? Je ne sais pas. L’avantage d’une couleur d’antenne de radio musicale, c’est la simplicité du choix. On ne va pas être surpris. Sur Nostalgie, on connaît toutes les chansons. Toutes sont des tubes ou des tubes secondaires. Les gens ne vont pas dire spontanément : « Ah tiens j’ai envie d’écouter Laroche Valmont », mais le titre passe et ils se souviennent. L’enjeu, c’est de susciter le plaisir nostalgique.
Cet article a initialement été publié dans le numéro 33 d’Émile, paru à l’été 2025.