Le passé, futur du divertissement ?
Les remakes sont partout, du petit au grand écran en passant par les jeux vidéo. Simple paresse créative de producteurs qui préfèrent faire du neuf avec du vieux ou véritable besoin de réconfort d’un public en quête d’une nostalgie prête à consommer ? Plongée au cœur de la rétromania, cette machine à cash qui transforme nos souvenirs en blockbusters.
Par Lawrence Bekk-Day (promo 18)
ANTINÉA DÉBARQUE SUR LE PLATEAU DU BIGDIL AVEC UNE CONFESSION À FAIRE À VINCENT LAGAF’. « VOUS AVEZ VU MA MAMAN IL Y A 20 ANS DE ÇA. ELLE A GAGNÉ UNE VOITURE ICI ! ». « Et la voiture, elle existe encore ? », s’enquiert-il. « Oui. Et elle passe le contrôle technique, hein ! » Et Lagaf’ de répliquer : « Comme moi... » L’animateur, 65 ans au compteur, en est le premier étonné : Le Bigdil est de retour à l’antenne. Vingt-cinq ans après la première mouture, RMC Story rempile avec le même décor, le même animateur et la même équipe. Bingo pour la première, avec 2,35 millions de téléspectateurs et 17 000 candidats inscrits dans l’espoir d’y participer. Si l’audience s’est depuis émoussée – un million en moyenne sur les trois mois suivants –, c’est un score suffisant pour que la petite chaîne de la TNT commande une seconde saison, en cours de tournage.
Le juteux filon intimiste
C’est que Le Bigdil a marqué toute une génération de Français. De 1998 à 2004, six millions de fidèles (dont beaucoup d’enfants) se massaient devant TF1 tous les soirs à 19 heures pétantes pour regarder ce jeu télévisé d’un genre un peu à part. Aux manettes, un Vincent Lagaf’ survolté en costumes fluo flashy façon The Mask, flanqué de Bill, l’extraterrestre bleu venu de la planète Fricus dans sa soucoupe volante high-tech, les soutes pleines de cadeaux pour nous autres Terriens. Ambiance potache, épreuves loufoques et spectaculaires et, pour les candidats gagnants, la possibilité de prendre « le rideau », derrière lequel se cachait une voiture… ou une botte de poireaux. C’était l’âge d’or de la télé reine, où un programme en access pouvait faire bien plus d’audimat qu’une diffusion en prime time à notre ère. Après avoir fait les très riches heures des ducs de TF1, les indéboulonnables Patrick Le Lay et Étienne Mougeotte, Le Bigdil avait finalement été débranché, en baisse de régime face à l’irruption d’un concept inédit en France et surtout moins cher : la télé-réalité, avec en tête Loft Story et Star Academy (dont le reboot, en 2022, fut lui aussi couronné de succès, avec l’inoxydable Nikos Aliagas comme présentateur). Certes, ces remakes de programmes télévisés, reprenant plateau et animateur à l’identique, ne sont pas (encore) légion. Mais ils disent quelque chose de notre époque, en quête de doudous feel good, d’une patine fa- milière et nostalgique, à la limite du has been : de quoi régresser en douceur. Les remakes nous offrent un moyen de revisiter nos vieilles gloires. Et ceux qui jouent sur la nostalgie de la jeunesse perdue ont les meilleures chances de fonctionner : « C’est un filon intimiste », analyse l’essayiste et critique de cinéma Jacqueline Nacache. « Cela s’adresse à la perception la plus intime du spectateur, à sa mé- moire, à des souvenirs de son enfance et de sa jeunesse. »
L’adaptation, une règle plus qu’une exception
Vous voulez du réchauffé ? Vous allez être servis. Pour l’industrie du divertissement, allergique au risque, le remake est une valeur refuge. Qu’il s’agisse de franchises éminemment feuilletonnables (La Famille Addams et sa dernière incarnation, Mercredi, sur Netflix, ou encore Batman et ses 23 films), de remakes déclinables à l’infini (Une étoile est née et ses quatre versions, la dernière avec Lady Gaga et Bradley Cooper), de sequels (Star Wars), de prequels (Young Sheldon, qui précède The Big Bang Theory) ou de reboots (Mad Max), les professionnels le savent : c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes. Une évidence pour Linda Hutcheon, professeure à l’Université de Toronto, qui analyse dans Une théorie de l’adaptation (2006, non traduit) : « Très peu d’histoires n’ont pas “plagié avec amour” des histoires existantes. Dans les rouages de l’imagination humaine, l’adapta- tion est la règle, et non l’exception. »
Les remakes ont pourtant bien mauvaise presse. On les traite de resucées sans grand intérêt artistique, tout juste bonnes à servir de machine à cash pour des spectateurs-vaches à lait. Ces derniers eux-mêmes se montrent sévères : plus de 9 sur 10 préfèrent l’original à son remake, selon une étude de Verve Search datant de 2019. Pourtant, nombre de succès que nous croyons être des inédits sont des reprises. La série événement House of Cards ? Remake d’une obscure mini-série britannique de 1990. La série culte Buffy contre les vampires ? Remake d’un film tombé aux oubliettes, Buffy, tueuse de vampires, au sujet analogue mais au traitement beaucoup moins novateur, bien qu’écrit par le même scénariste, Joss Whedon. Les inénarrables Simpson ? Dérivés d’un format court du Tracey Ullman Show, sorte de Nulle part ailleurs avant l’heure dont peu se souviennent. Même le licencieux Euphoria (2019), série glamour mettant en scène les vies d’excès de lycéens de la Génération Z, est l’adaptation d’un show israélien. Bien sûr, l’aura de ces souvenirs vintage un peu jaunis par le temps ne suffira pas à sauver ce qu’il faut bien qualifier de daubes. Le reboot de 2018 de Charmed – à l’origine une série bien-aimée de 1998 mettant en scène trois sœurs sorcières qui luttent contre les forces du mal, diffusée en France sur M6 dans La Trilogie du samedi –, jugé mièvre et sentencieux, a été descendu en flammes (« Il va nous falloir un exorciste : ce nouveau Charmed est maudit » tacle Mark Perigard, critique au Boston Herald). Quant à certains produits, point besoin d’un remake pour qu’ils deviennent leur propre caricature, tant leur filon a été surexploité. Pour la critique Emily St. James, Les Simpson, après 36 saisons, « ont atteint leur zénith créatif il y a 20 ans ». Et pourtant, « ils pourraient produire 50 ans de saisons médiocres que cela n’enlèverait rien à l’exploit des toutes premières ».
La série britannique Skins (2007) a tenté un pas de côté pour renouveler le genre. Des thématiques certes rebattues (ados, drogue et sexe), mais un ton neuf et une innovation majeure : un casting 100 % renouvelé toutes les deux saisons. Pour Faye Woods, professeure en histoire du cinéma et de la télévision à l’Université de Reading, outre l’authenticité des personnages, c’est ce principe de « cycles » qui a permis à la série de durer : « Skins cherchait à éviter les problèmes rencontrés par les séries télévisées pour adolescents américains, dont les acteurs finissaient par quitter le lycée et dépasser l’âge adolescent. Or la “magie” des séries pour ados s’estompe lorsqu’elles dépassent l’universalité de la vie lycéenne. » Mais la recette du succès reste insaisissable : le remake américain de Skins (2011) fut annulé après une seule et unique saison.
Compliqué de jouer à des jeux vidéo vieux de 20 ans
Même les jeux vidéo n’échappent pas au phénomène. À ceci près que l’interactivité change la donne : ces programmes informatiques connaissent la même obsolescence que les ordinateurs sur lesquels ils tournent. Difficile, donc, de rejouer à des jeux sortis il y a 20 ans. Le remaster, à mi-chemin entre le remake et la réédition, permet aux nostalgiques de revisiter un classique sans le matériel d’époque. D’Age of Empires à Halo en passant par Warcraft, rare est le grand jeu qui n’a pas eu droit à son remaster. Paradoxe : il doit réussir à faire oublier à quel point, dans les années 90, les jeux étaient rudimentaires par rapport aux standards actuels. Benjamin « Yahtzee » Croshaw, journaliste spécialiste des jeux vidéo, l’analyse ainsi : « Le remaster parfait, c’est celui qui ressemble au jeu dont on se souvient. Pas ce à quoi il ressemblait vraiment, mais l’image qu’on s’en fait, embellie par le temps et les souvenirs. »
Verdict ? La rétromania a de beaux jours devant elle. Et si la machine à remakes, remasters et autres re- boots tourne à plein régime, c’est peut-être qu’au fond, ce qui a marché mérite d’être revisité, comme l’explique Vincent Lagaf’ : « Combien de pièces ont été rejouées par d’autres comédiens, combien de chansons ont été inter- prétées par différents chanteurs ? C’est logique que l’on retourne chercher les grands classiques qui ont cartonné et qui ont un potentiel. »
Cet article a initialement été publié dans le numéro 33 d’Émile, paru à l’été 2025.