Le "syndrome de la cabane" : psychanalyse d’une expression virale
Cette notion qui s’est propagée dans la presse après les confinements liés au Covid-19 interroge notre rapport à l’espace, au temps... et au passé. Derrière l’évitement social ou scolaire, c’est parfois une forme de nostalgie qui se joue, celle d’un repli familier, d’un isolement perçu comme sécurisant, où l’on cherche à retrouver une stabilité perdue face à un monde devenu incertain.
Par Thibault Le Besne (promo 24)
Il y a cinq ans, alors que l’Espagne puis la France sortent du confinement, certains employés et élèves n’arrivent pas à retourner s’asseoir à leur bureau. Une expression contamine alors les médias : ce blocage serait dû au « syndrome de la cabane ». Le gouvernement et les médias répètent depuis plusieurs mois que le monde extérieur est dangereux (« Nous sommes en guerre...»), qu’il faut s’en protéger en restant chez soi, en portant un masque, en s’éloignant des autres. L’incertitude autour des risques de transmission du Covid-19 et des consignes renforce l’angoisse latente. Face à cette situation, certaines personnes craignent de sortir de chez elles. « Durant le confinement, le domicile a été considéré comme une bulle sécuritaire, une sorte de cocon protecteur pour nombre d’entre eux », expose un rapport du Haut Conseil de la santé publique intitulé « Crise sanitaire de Covid-19 et inégalités sociales de santé », publié le 7 octobre 2021.
Le reflet de traumas antérieurs ?
Le « syndrome de la cabane » compte lui aussi ses variantes : « syndrome de l’escargot » (dur de sortir de sa coquille), « du prisonnier » ou encore « de la caverne ». À l’origine, au début du XXe siècle, ce blocage s’observe chez les chercheurs d’or dans le Colorado, qui ne parviennent pas à sortir de leur campement pour amener leurs pépites en ville (d’où le nom de cet état, traduit par « cabin fever » en anglais). Il se retrouve plus généralement chez des individus isolés pendant une longue période, comme les gardiens de phare ou les patients longuement hospitalisés. « J’ai soigné un prisonnier qui était enfermé pendant plus de 20 ans », raconte Samuel Lepastier (promo 70), psychiatre à Paris. « Le jour de sa sortie, il n’a pas supporté, il a fait un infarctus et il est mort. Certains prisonniers font exprès de commettre de nouveaux délits pour retourner en prison. De la même manière, les étudiants en prépa supportent mal l’entrée en école ensuite, car la plus grande liberté qui leur est donnée les place dans le flou. J’en ai reçu plusieurs en consultation. »
“« Le cerveau a une capacité d’adaptation phénoménale. Il a laissé dégénérer les circuits neuronaux qui n’étaient pas stimulés pendant le confinement, comme ceux de l’imprévu, la flexibilité mentale ou l’imagination »”
Pourquoi ce syndrome est-il sorti de sa tanière de manière tonitruante au moment du déconfinement ? Sans doute parce que c’était un événement commun à toute la population, ce qui augmente mathématiquement le risque de gonfler les statistiques. « Le cerveau a une capacité d’adaptation phénoménale. Il a laissé dégénérer les circuits neuronaux qui n’étaient pas stimulés pendant le confinement, comme ceux de l’imprévu, la flexibilité mentale ou l’imagination », renseigne Anne-Laure Deschamps (promo 99), psychologue clinicienne à Bordeaux. « Après, ça s’est remis doucement en ordre, sauf chez ceux qui avaient une fragilité. Les gens qui ont eu du mal à se déconfiner, c’est souvent parce que ça prenait racine dans des problèmes antérieurs. Ça pouvait être plus compliqué pour les personnes qui avaient déjà des terrains anxieux, des soutiens fragiles. » Plus qu’une formule, ce sont donc des traumatismes antérieurs qui sont ressortis. « Le déconfinement, c’est l’élément précipitant, pas l’élément causal en tant que tel », indique Samuel Lepastier, qui ne considère pas le « syndrome de la cabane » comme un terme clinique. « On met beaucoup trop de choses sur le compte du confinement, ça permet de ne pas creuser. »
Les symptômes associés sont divers, mais tournent autour de la peur : d’enlever son masque, de rougir, de revoir ses amis ou collègues, de retourner à l’école... « Ce sont des gens qui expliquent qu’ils ne veulent pas sortir de chez eux pour des raisons souvent très vagues – ils ont peur de s’évanouir dans la rue, par exemple », constate Samuel Lepastier. Un article d’Éric Bertin, publié dans les Cahiers de nutrition et de diététique en octobre 2020, ajoute que « les conséquences psychologiques [du confinement] sont en cours d’évaluation, mais susceptibles de générer des états anxieux chroniques, voire un syndrome de stress post-traumatique ». Les diagnostics ramènent souvent à des phobies sociales, des anxiétés de séparation ou des refus scolaires anxieux.
L’évitement scolaire, un refuge
Ce dernier cas est connu des médecins. « On parle de refus scolaire anxieux lorsque, pour des raisons irrationnelles, un enfant refuse brutalement d’aller à l’école. [...] Au moins 1 % des enfants » sont concernés, d’après le neuropsychiatre Olivier Revol et la pédopsychiatre Domitille Roche. Les deux spécialistes détaillent les causes et conséquences de cette phobie dans la revue professionnelle Réalités pédiatriques (déc. 2021-janv. 2022). « La pandémie n’a pas créé de troubles psychiques, mais est venue accentuer des différences, surligner les inégalités sociales et renforcer des vulnérabilités cognitives et affectives préexistantes, mais qui étaient jusque-là à peu près correctement maîtrisées. C’est dans ce sens que l’évitement scolaire peut s’imposer comme la recherche d’un refuge rassurant. »
Au printemps 2020, quand la cloche a de nouveau retenti dans la cour de récré, les « enfants qui cumulent haut potentiel et trouble du neurodéveloppement, diagnostiqués tardivement ont été particulièrement vulnérables au syndrome de la cabane ». Mais c’était déjà le cas avant. « Les enfants avec un Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) et les enfants à haut potentiel, classiquement en délicatesse avec l’autorité et l’acceptation des règles, sont particulièrement concernés par le refus de l’école. » Plus d’une consultation de pédopsychiatrie sur 20 correspond à ce symptôme (trois garçons reçus pour deux filles) et « ce chiffre ne cesse d’augmenter », préviennent les deux experts. « La tranche d’âge à risque (tous milieux confondus) est située entre 5 et 15 ans, avec trois pics : les entrées au CP, collège et lycée, c’est-à-dire tous les moments où l’environnement change et ne joue plus de rôle rassurant pour aider l’enfant à passer l’obstacle. » Récemment, Anne-Laure Deschamps a reçu une élève de sixième avec « des compétences sociales non acquises ». « La maman date cela à partir du confinement. La jeune fille était isolée, ses parents bossaient, je pense qu’elle était beaucoup sur les écrans. »
Après le déconfinement, certains psychologues ont connu un pic de fréquentation. « Ça a été la plus grosse semaine de ma vie », atteste Anne-Laure Deschamps. « Comme pour toutes les maladies médiatiques, les gens lisent des articles sur internet et en adoptent les symptômes », relativise Samuel Lepastier. Sa consœur reconnaît une certaine utilité à cette pluie d’articles. « C’était super de communiquer autour de ce syndrome, sinon les gens ne pouvaient pas le connaître. Ne pas se sentir seul, savoir qu’on peut être aidé, accepter ses émotions, c’est déjà commencer un travail. » Une autre raison pourrait justifier le pic de consultations. « Après le Covid, les gens ont profité de la gratuité du dispositif psy pour soigner des problèmes qu’ils avaient avant », évoque Sophie Méary-Champseix (promo 74), psychologue clinicienne à Paris.
D’abord guérir l’histoire ancienne
Comment se défaire du syndrome de la cabane? « J’ai noté une forme d’ambivalence, confie Anne-Laure Deschamps. Envie de sortir et envie de rester. L’envie de rester gagne parce que c’est confortable, mais du coup, on arrive quand même à les inciter à sortir. » Ouvrir la porte, descendre les poubelles, aller à la boulangerie... Avec une exposition progressive à l’extérieur, la Thérapie cognitive et comportementale (TCC) peut aider. « Les patients peuvent avoir des formes de syndrome plus ou moins rigides, plus ou moins sévères, avertit Anne-Laure Deschamps. Dans certains cas, une exposition progressive peut être une solution, pour d’autres il s’agit d’aller creuser dans leur histoire, leur fonctionnement et leurs ressources pour les aider à aller mieux. Il ne faut pas forcément traiter l’instant présent, mais plutôt guérir l’histoire ancienne, et ensuite, le reste découle facilement. » Pour une anxiété de séparation, l’origine du traumatisme peut être un passage en couveuse à la naissance, une colonie de vacances où on ne voulait pas aller ou encore l’entrée à l’école. Anne-Laure Deschamps a recours au reparentage et à l’EMDR (une technique de psychothérapie par mouvements oculaires qui cible les mémoires traumatiques des individus) pour aider ses patients à « aller se reconnecter avec des émotions présentes il y a très longtemps et qu’ils ont gardées en eux : réconforter le bébé en couveuse coupé de ses parents, ce qui pourrait expliquer qu’il vive très mal un isolement ».
“« Un syndrome, c’est la moins mauvaise solution qu’une personne a trouvée pour survivre, pour supporter sa vie. Le traumatisme, ce n’est jamais l’épreuve, c’est l’incapacité à traiter l’épreuve.”
« Un syndrome, c’est la moins mauvaise solution qu’une personne a trouvée pour survivre, pour supporter sa vie, énonce Samuel Lepastier. Le traumatisme, ce n’est jamais l’épreuve, c’est l’incapacité à traiter l’épreuve. C’est comme un bug informatique, un arrêt sur image : on revit la scène en boucle et on bloque dessus. » La nostalgie peut elle aussi empêcher d’avancer. Exemple du psychiatre : « Un jeune originaire d’une petite ville vient étudier à Paris. Il est séparé de ses parents. Dans certains cas extrêmes, il peut arrêter ses études et retourner dans sa famille. » À l’inverse, la nostalgie peut aider à surmonter un deuil en rappelant des souvenirs agréables. Comme une cabane douillette pour se mettre à l’abri des pensées tristes.
Cet article a initialement été publié dans le numéro 33 d’Émile, paru à l’été 2025.