Aurélie Royet-Gounin : "Il faut continuer de rebâtir la relation bilatérale entre la France et le Rwanda"
Cet été, une dizaine d’ambassadeurs français ont été remplacés dans des États clés en Afrique. Parmi eux, Aurélie Royet-Gounin (promo 92) a été nommée à Kigali. Elle revient sur son parcours, son engagement féministe et sa feuille de route au Rwanda.
Propos recueillis par Lisa Dossou, Lise Mai et Alessandra Martinez
En quoi votre parcours à Sciences Po a-t-il structuré votre approche de la diplomatie ?
Je suis sortie diplômée de la section Service public en 1992. L’enseignement reçu, par exemple « Les grandes lignes de partage du monde contemporain », correspond à ce qu’on demande à un diplomate : une approche pluridisciplinaire, une vraie polyvalence. Cette capacité à avoir une vision globale m’est utile au quotidien.
C’est aussi grâce à Sciences Po que j’ai pu faire un voyage en Lettonie, en 1992, avec une association étudiante qui s’appelait Solidarité balte. Le pays était alors à peine libéré de l’occupation soviétique. Sur place, j’ai rencontré un diplomate letton qui m’a proposé de faire un stage dans leur représentation auprès du Conseil de l’Europe et cela a achevé de me convaincre.
Quelles expériences professionnelles ont été les plus formatrices pour devenir ambassadrice ?
J’ai intégré le ministère des Affaires étrangères par le cadre général, sans zone géographique de prédilection, et j’avais envie de garder cette diversité, donc j’ai alterné des postes diplomatiques au Kenya, au Sénégal, à Bruxelles-UE et en centrale, avec un fil conducteur autour de la presse/communication…
Avec le recul, je trouve deux postes particulièrement formateurs : au sein du cabinet de Najat Vallaud-Belkacem, alors porte-parole et ministre des Droits des femmes. J’y ai acquis une compréhension de la communication politique essentielle à mon métier aujourd’hui. Mon passage à l’Inspection du MEAE (ministère de l’Europe et des Affaires étrangères) m’a donné des compétences très utiles sur le management d’une ambassade, qui est aussi une structure avec un budget, des procédures, des ressources humaines, des questions d’immobilier, de sécurité... autant de sujets essentiels. J’ai été nommée à mon premier poste d’ambassadrice dans la foulée en 2020, à Riga.
D’où vient votre engagement féministe ?
Comme toutes les femmes de ma génération, lors de mes premières expériences professionnelles, j’ai constaté des comportements sexistes qui n’existent heureusement plus : un supérieur hiérarchique m’a par exemple appelée « Pitchounette ». J’ai toujours eu des engagements féministes, personnels et professionnels, notamment dans le bureau de l’association Femmes et Diplomatie, dont je suis vice-présidente. Notre association est membre fondateur d’Administration moderne – qui rassemble tous les réseaux féminins dans l’administration – et de 2GAP (qui regroupe 91 réseaux professionnels féminins). Je suis convaincue de l’importance de ces réseaux féminins, qui ont une force de frappe considérable, de vraies capacités de lobbying, d’échanges de pratiques. Cela permet d’avoir des « capteurs » sur le terrain pour réagir rapidement face à des évolutions négatives et proposer des solutions.
“« J’ai toujours eu des engagements féministes, personnels et professionnels (...) Dans le milieu diplomatique, l’évolution a été longue... »”
Dans le milieu diplomatique, l’évolution a été longue, non seulement sur les nominations, mais aussi pour sortir des « ouvrages de dames », l’assignation des femmes à certaines fonctions en les écartant des questions stratégiques ou des terrains difficiles, par exemple.
Comment la France se positionne-t-elle sur la question féministe dans sa diplomatie ? Dans son action diplomatique ou en interne ?
En 2019, la France s’est engagée en faveur d’une diplomatie féministe, qui consiste à intégrer la dimension de l’égalité femmes-hommes dans toutes les problématiques : réduction des inégalités et développement durable, paix et sécurité, promotion des droits fondamentaux… Le sujet est désormais complètement intégré dans notre action. Lors de la dernière conférence des ambassadeurs et ambassadrices, une session plénière y était consacrée. Il y a aussi eu des formations obligatoires pour l’ensemble des chefs de poste sur la lutte contre les discriminations, des feuilles de route « égalité » dans tous les postes... C’est fondamental, ça permet de maintenir la vigilance et d’avancer.
“« Je ne crois pas qu’il y ait une façon féminine et une façon masculine de faire de la diplomatie. La mixité dans les groupes, permet toujours un enrichissement considérable. »”
Je ne crois pas qu’il y ait une façon féminine et une façon masculine de faire de la diplomatie. La mixité dans les groupes, que ce soit une délégation, une ambassade ou une équipe de négociateurs, permet toujours un enrichissement considérable. Sur le terrain, c’est vrai qu’il peut être plus favorable d’être un agent féminin sur certains sujets, par exemple lorsqu’on travaille à l’universalisation de la Convention d’Istanbul sur les violences basées sur le genre [qui exige des parties qu’elles élaborent des lois, politiques et services pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes, NDLR]. Avec les ONG et les professionnels sur le terrain, être une femme peut faciliter le dialogue en créant une proximité. Mais, encore une fois, un homme aussi motivé et alerte sur ces questions devrait pouvoir faire le même travail.
Quels sont les principaux points sur lesquels vous allez travailler en tant qu’ambassadrice de France au Rwanda ?
D’abord, il faut continuer de rebâtir la relation bilatérale entre la France et le Rwanda. Depuis le déplacement du président Macron à Kigali, en 2021, et la démarche de reconnaissance des responsabilités « lourdes et accablantes » de la France dans le processus qui a mené au génocide perpétré contre les Tutsis, grâce au rapport Duclert, notre relation bilatérale s’est reconstruite.
“« La relation que nous voulons développer avec le Rwanda s’inscrit dans un renouvellement de la manière dont on veut travailler avec nos partenaires africains. »”
Depuis cette normalisation, nous pouvons travailler dans la franchise sur l’ensemble des sujets d’intérêt mutuel : la formation professionnelle, le français, la résilience climatique et le développement du secteur des hautes technologies en Afrique.
Un aspect important de notre relation est celui de la mémoire et de la lutte contre l’impunité. De nombreux procès de génocidaires présumés se déroulent encore en France. Nous travaillons étroitement avec l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, notamment. Ici, au Rwanda, nous accompagnons ces procédures en formant des journalistes régionaux à la chronique judiciaire pour qu’ils puissent suivre ces procès et permettre au public rwandais le plus large d’en prendre connaissance.
Je voudrais également travailler sur la lutte contre la désinformation et les discours de haine en ligne, un sujet important dans la région des Grands Lacs. Et j’espère poursuivre les avancées de notre coopération bilatérale, notamment dans le domaine de la santé, où nous pouvons travailler plus sur la formation, les infrastructures et les équipements, ainsi que sur la lutte contre les pandémies.
La relation que nous voulons développer avec le Rwanda s’inscrit dans un renouvellement de la manière dont on veut travailler avec nos partenaires africains, une relation fondée sur des partenariats mutuellement avantageux. Le sommet Africa Forward, en mai 2026, à Nairobi, sera l’occasion de montrer ce renouvellement à l’œuvre entre les pays africains et la France.
Cet article a initialement été publié dans le numéro 34 d’Émile, paru en novembre 2025.

