Austen Chamberlain : prix Nobel de la paix il y a 100 ans
Le diplomate britannique a étudié rue Saint-Guillaume et reçu le prix Nobel de la paix en 1925 pour les accords de Locarno, qui marquaient un apaisement provisoire entre les nations européennes.
Par Thomas Arrivé
L’histoire laisse souvent Austen dans l’ombre de son demi-frère, Neville, né du second mariage de leur père. Ce cadet deviendra Premier ministre en 1937, signera les accords de Munich et cédera son poste à Winston Churchill en 1940, face à l’avancée des troupes allemandes sur le continent. Austen, de cinq ans et demi l’aîné de Neville, ne verra pas l’entrée du Royaume-Uni dans la Seconde Guerre mondiale : né en 1863, il meurt en 1937.
Après avoir étudié au Trinity College de l’Université de Cambridge, le jeune homme voyage sur le Vieux Continent, notamment en France et en Allemagne. Il consacre son séjour à Paris à ses études à l’École libre des sciences politiques, dans la promotion 1886.
Revenir sur le traité de Versailles
De retour à Londres, il entame sans tarder sa carrière politique. Chef du parti unioniste puis dirigeant du parti conservateur, il est élu député à la Chambre des communes en 1892, nommé chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances) entre 1903 et 1905, à nouveau entre 1919 et 1921, puis secrétaire d’État de l’Inde entre 1915 et 1917 et membre du Cabinet de guerre de 1918 à 1919. Il est ministre des Affaires étrangères de 1925 à 1929. À ce titre, il est l’artisan des accords de Locarno. Cette réussite lui vaut le prix Nobel de la paix.
“L’accord veille à la sécurité collective en Europe et à la stabilité des frontières de l’Allemagne.”
Depuis 1919, la sévérité du traité de Versailles entretient un climat conflictuel entre la France et l’Allemagne. Le traité tient l’Allemagne pour seule responsable de la Première Guerre mondiale et exige des réparations jugées excessives non seulement par l’Allemagne, mais aussi par le Royaume-Uni et les États-Unis. La France et l’Allemagne sont dans l’impasse : des deux côtés du Rhin, on cherche une issue ; dans plusieurs autres pays européens aussi.
Les accords de Locarno sont signés le 16 octobre 1925, dans cette ville suisse des bords du lac Majeur, entre les représentants des principaux États – Aristide Briand pour la France, Gustav Stresemann pour l’Allemagne, Émile Vandervelde pour la Belgique, Benito Mussolini pour l’Italie, Aleksander Skrzyński pour la Pologne, Edvard Beneš pour la Tchécoslovaquie et Austen Chamberlain, donc, pour le Royaume-Uni. L’accord veille à la sécurité collective en Europe et à la stabilité des frontières de l’Allemagne.
Complicité francophile avec Aristide Briand
Le Nobel est décerné dès 1925 à Chamberlain ainsi qu’à Charles Dawes, l’Américain qui avait travaillé sur la question des réparations allemandes et établi un plan préparant Locarno. L’heure est à l’optimisme. Selon Aristide Briand, « l’accord de Locarno que nous consacrons par nos signatures a ceci d’encourageant : il procède d’un autre esprit ; à l’esprit de précaution, de soupçon, se substitue l’esprit de solidarité. » Le Français et son homologue allemand remporteront le Nobel l’année suivante. L’Allemagne obtient dans ce contexte le droit d’entrer à la Société des nations (SDN), l’ancêtre de l’ONU.
“À Paris, Austen avait pu fréquenter le futur Premier ministre français Alexandre Ribot ou se rendre à l’opéra avec Georges Clemenceau.”
Dans la période qui suit, l’histoire de Chamberlain s’assombrit. Au sein du cabinet de Stanley Baldwin, il œuvre à un rapprochement avec l’Italie fasciste. Il rencontre Mussolini à quatre reprises, notamment pour discuter de politique coloniale. Un accord donne à l’Italie la liberté d’annexer des territoires jusque-là rattachés au Kenya britannique. Puis les deux puissances s’entendent pour étendre leurs zones d’influences au détriment de l’empire éthiopien.
L’histoire de l’Europe, quant à elle, s’embrase comme on le sait à la fin des années 30, loin de l’esprit de Locarno de 1925. Austen Chamberlain ne vit pas assez longtemps pour en être témoin.
Accueilli par Émile Boutmy en personne
En quoi ses années d’étudiant parisien ont-elles marqué sa vie et sa carrière ? Celui qui fut l’un des premiers élèves étrangers et britanniques de Sciences Po s’est souvenu, en rédigeant ses mémoires parus en 1935, de « ces mois heureux » passés à Paris, et a exprimé sa gratitude envers les Français, leur « premier accueil cordial » et leur « constante hospitalité ». Son père, Joseph Chamberlain, menait une carrière politique outre-Manche. À Paris, Austen avait pu fréquenter le futur Premier ministre français Alexandre Ribot ou se rendre à l’opéra avec Georges Clemenceau.
“Ce fut sur la recommandation de Boutmy qu’Austen Chamberlain suivit le cours d’histoire diplomatique de l’Europe, le cours de constitution française et celui de finances en démocratie.”
La notoriété de son père avait valu à Chamberlain un accueil personnel par Émile Boutmy. « Quoique n’aimant pas beaucoup les Anglais », note Austen Chamberlain dans ses mémoires, le directeur reçut son nouvel élève avec « la plus grande bienveillance ». Et ce fut sur la recommandation de Boutmy qu’Austen Chamberlain suivit le cours d’histoire diplomatique de l’Europe, le cours de constitution française et celui de finances en démocratie. L’enseignement de l’historien Albert Sorel lui fit grande impression : « La largeur de vue du professeur, la clarté de son style, la vigueur et le ton convaincu de sa diction m’enchantèrent. Il me semblait alors voir l’histoire s’échapper des poussières du passé pour rentrer dans les vivants problèmes de l’actualité. »
Le ministre français des Finances, Léon Say, avait consacré pour sa part un cours entier à la critique d’un manifeste écrit par le père d’Austen Chamberlain : les mémoires indiquent que le professeur interpella son élève à la fin de la séance pour lui présenter ses excuses, espérant ne pas l’avoir froissé.
L’hommage d’André Siegfried
Le 21 janvier 1937, à la toute fin de sa vie, Austen Chamberlain accepta « avec joie » de revenir rue Saint-Guillaume pour recevoir l’hommage que Sciences Po souhaitait rendre à l’un de ses plus brillants élèves. Austen Chamberlain reçut de nombreux éloges pour son français impeccable et son humour. André Siegfried prononça une conférence à cette occasion sur la « psychologie britannique ».
La francophilie de Chamberlain a à l’évidence joué un grand rôle dans sa carrière diplomatique, ne serait-ce qu’au travers de la complicité établie avec Aristide Briand. Les mémoires indiquent à son propos, au moment de la signature des accords de Locarno : « Alors que je l’écoutais, je sentais toute la justification de mon amour pour la France. J’entendais, dans les mots de Briand, tout ce qu’il y a de plus noble et généreux dans l’âme de la nation française. »