Nathalie Godard : "Nous avons besoin de convaincre en permanence que le respect des droits humains n’est pas une option"

Nathalie Godard : "Nous avons besoin de convaincre en permanence que le respect des droits humains n’est pas une option"

Dans un contexte mondial marqué par des crises multiples, conflits armés, atteintes aux droits humains, dérives autoritaires, le rôle des ONG internationales est plus que jamais crucial. Nathalie Godard (promo 98), directrice de l’action chez Amnesty International France, revient pour Émile sur les missions, les leviers et les limites de l’action humanitaire et militante. 

Propos recueillis par Lisa Dossou et Liséane Sabiani

Vous avez occupé des fonctions dans un grand nombre d’ONG à renommée internationale. Quand avez-vous choisi de vous engager dans ce domaine ? 

Nathalie Godard, directrice de l’action chez Amnesty International France (Crédits : D.R.)

Lorsque j’ai intégré Sciences Po, en 1996, j’aspirais à entreprendre une carrière dans le monde journalistique. Cependant, au même moment, j’ai été frappée par les récits médiatiques de la crise humanitaire engendrée par la situation des réfugiés dans la région des Grands Lacs en Afrique. Je me suis alors interrogée sur la manière dont je souhaitais m’investir, et j’ai exploré plus en profondeur le domaine de la solidarité internationale. Je souhaitais être en capacité d’intervenir plus directement auprès des populations réfugiées, exposées à des conditions particulièrement difficiles.

À l’issue de ma deuxième année au sein de l’école, j’ai eu l’opportunité de réaliser un stage au sein de l’association humanitaire internationale Médecins sans frontières, qui m’a permis de confirmer mon fort intérêt pour ce secteur, motivé par l’action concrète qu’il implique, et son caractère international. J’ai ensuite complété ma formation par des études en droit international. C’est à ce moment que j’ai commencé à accumuler des connaissances relatives au sujet des droits humains. 

Quelles sont les missions d’Amnesty International France ? Au sein de cette association, quelle est la fonction du pôle Action que vous dirigez ? 

Amnesty International France a pour mission d’enquêter sur des situations de violation des droits humains, de les analyser, de les qualifier en droit, et d’en informer les pouvoirs publics ainsi que l’opinion publique afin de susciter des mobilisations en faveur de changements concrets. Le pôle action est composé de programmes thématiques qui vont travailler sur l'analyse et les stratégies de changement en s'appuyant sur deux types d'action ; le plaidoyer, qui consiste à s'adresser aux décideurs politiques, économiques ou influents pour les amener à un changement favorable aux droits humains; et les campagnes, plutôt destinées à sensibiliser le public et l'engager à agir via des actions de communication ou de mobilisation (par exemple des pétitions, des manifestations, etc).

« Il est primordial que les défenseurs restent les acteurs principaux de leur combat et que leur dignité et leur autonomie soient respectées. »

Nous possédons également un service consacré aux actions de soutien aux défenseurs des droits humains dont les droits ne sont pas respectés. Nous défendons par exemple des personnes condamnées à mort, ou des prisonniers d'opinion. Toutefois, nous ne soutenons personne publiquement avant de nous être assurés que nous avons son accord ou celui de sa famille. Parfois, les individus ne souhaitent pas que de la publicité soit réalisée sur leur cas. On tient à ce que les personnes qui subissent ce type de violation restent actrices de leur situation. Nous les soutenons et renforçons leur combat, en respectant leur accord.

Pouvez-vous nous donner des exemples récents de cas dans lesquels vous avez apporté votre soutien à des personnes condamnées pour leur défense des droits humains ?

Manifestation de la nation des Wet'suwet'en, contre la pipeline de TC Energy (Crédits : Flickr / Francois Depey)

Deux exemples récents me viennent à l’esprit. Tout d’abord, nous avons soutenu la nation des Wet'suwet'en qui lutte contre la construction du pipeline Coastal GasLink, projet de TC Energy traversant leurs terres ancestrales au Canada. Amnesty International a lancé une pétition mondiale, recueillant près de 150 000 signatures en France, et a organisé des actions de solidarité pour mettre en avant leur mouvement de résistance.

Nous avons également apporté notre aide à Alexandra Skotchilenko, une artiste russe qui a été arrêtée en avril 2022 à Saint-Pétersbourg pour avoir remplacé des étiquettes de prix dans un supermarché par des messages dénonçant l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Condamnée à sept ans de prison en novembre 2023 pour « diffusion de fausses informations » sur l'armée russe, elle a été libérée le 1er août 2024 dans le cadre d'un échange de prisonniers entre la Russie et plusieurs pays occidentaux. Amnesty International a soutenu Alexandra en menant des campagnes de sensibilisation, en recueillant des pétitions et en organisant des actions de solidarité pour dénoncer cette répression de la liberté d'expression. Il est primordial que les défenseurs restent les acteurs principaux de leur combat et que leur dignité et leur autonomie soient respectées.

Dans un contexte mondial marqué par la multiplication de situations de crises humanitaires et la baisse des aides aux ONG, l’action d’Amnesty International est-elle impactée ?

L’importance du droit international est constamment remise en cause. Le contexte n'est pas très favorable aux initiatives comme celles d'Amnesty, et c'est aussi pour ça que notre action est aussi importante aujourd'hui. Nous avons besoin de convaincre en permanence que le respect des droits humains et de l'Etat de droit n’est pas une option. C'est quelque chose qui doit être au cœur de l'action publique et qui ne peut pas être vu comme étant secondaire aujourd'hui. Notre manière de mener les recherches, sur la base d'une analyse juridique rigoureuse, reste la même.

Ce qui va être impacté, ce sont plutôt les sujets sur lesquels on travaille : aujourd’hui, avec la guerre en Ukraine, à Gaza, et le retour de Donald Trump au pouvoir, on considère être dans une phase de crise extrêmement grave. Nous sommes en train d'être brutalement projetés dans une nouvelle ère au niveau mondial, et pour répondre à ce changement, on a besoin d'être d'autant plus déterminés, d'entrer dans une forme de résistance à ces dérives. Notre méthode reste la même, mais il y a une forme de combativité nouvelle qui nous anime.



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