“Toute civilisation qui se respecte devrait avoir au moins deux planètes”... Vraiment?

“Toute civilisation qui se respecte devrait avoir au moins deux planètes”... Vraiment?

Dans le sillage d’Elon Musk, certains prophètes martèlent que l’avenir de l’humanité doit s’écrire sur une autre planète. Une vision contestée par les astronomes.

Par Thibault Le Besne (promo 24)

Manifestation en Autriche, le 19 mars 2021 (Crédits : Ivan Radic)

Selon la stratégie du patron de SpaceX, le retour sur la Lune sert de répétition avant l’installation sur Mars, qui sera elle-même un entraînement avant de partir coloniser une autre planète. « C’est une hérésie », dénonce Elsa Ducrot, astronome au laboratoire Astrophysique, Instrument, Modélisation (AIM) du Centre de l’énergie atomique (CEA). « Mars n’a vraiment rien à voir avec la Terre, ça modifie absolument tout pour le corps humain : le système sanguin, la vision, la respiration. On n’est pas faits pour ça. » Tous les astronomes interviewés confirment ces propos. « Les formes de vie sur Terre, les humains en particulier, se sont adaptées aux évolutions de l’atmosphère de la Terre. Pour nous, la composition de dioxygène, d’azote, de dioxyde de carbone est parfaite pour habiter et vivre sur cette planète, mais il suffirait de changer un peu ces paramètres et on transformerait la Terre en une planète non habitable », avertit Martin Turbet, chargé de recherches au CNRS, spécialiste des atmosphères de planètes au Laboratoire de météorologie dynamique et au Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux.

« Il faudrait un miracle pour qu’une autre planète possède exactement les mêmes conditions que celles que nous avons sur Terre. »
— Martin Turbet, chargé de recherches (CNRS)


Pour que nous puissions vivre sur une planète, nous avons besoin d’une atmosphère à la composition précise, d’eau liquide en surface, d’une certaine gravité et d’un climat tempéré. « Il faudrait un miracle pour qu’une autre planète possède exactement les mêmes conditions que celles que nous avons sur Terre, énonce Martin Turbet. C’est hautement improbable donc si une telle planète existe, elle doit être extrêmement loin de nous. »

À ce jour, la NASA recense 5856 exoplanètes (hors du système solaire). La première a été découverte il y a 30 ans. Sur son site de référence Habitable Worlds Catalog, le professeur portoricain Abel Mendez compte 70 planètes qui se situent dans la « zone habitable » d’une étoile. C’est-à-dire la zone où il ne fait ni trop chaud ni trop froid, d’où son surnom de « zone Boucle d’or ». Plus précisément, c’est la zone où la température de surface est comprise entre 0°C et 100°C, condition pour la présence d’eau liquide en surface, seule source de vie possible selon nos connaissances. Proxima Centauri b est la plus proche. Elle se trouve à 4,2 années-lumière de la Terre. Avec les technologies de propulsion que nous maîtrisons, nous devrions prévoir des dizaines de milliers d’années de voyage. Atteindre une exoplanète relève donc encore ni plus ni moins de la science-fiction.

Autre complication : pour l’instant, aucune exoplanète située en zone habitable ne possède d’atmosphère. « C’est justement ce qu’on essaie de découvrir avec le télescope James-Webb », précise Martin Turbet, qui a obtenu une centaine d’heures pour scruter l’espace avec Elsa Ducrot. Pas pensé pour cela lors de sa fabrication, le télescope James-Webb s’est mué en un précieux outil de recherche depuis juillet 2022 ; 30 % de son temps sont désormais consacrés à la quête d’exoplanètes. « James-Webb est une révolution », savoure Benjamin Charnay, chercheur en astrophysique au Laboratoire d’instrumentation et de recherche en astrophysique (Lira) à l’Observatoire de Paris, qui a obtenu la médaille de bronze du CNRS pour son travail de recherche d’exoplanètes. « On vit un âge d’or pour la caractérisation des exoplanètes. On est dans une période vraiment très enthousiasmante, des résultats arrivent tous les jours. »

Elon Musk (Crédits : James Duncan Davidson)

À partir de 2029, la mission Ariel de l’agence spatiale européenne (ESA) sera dédiée à l’analyse de l’atmosphère des exoplanètes. Ses instruments permettront d’optimiser le temps d’observation en analysant tout le spectre lumineux en une seule fois, alors que James-Webb requiert jusqu’à sept passages. Les astronomes et astrophysiciens n’ont pas les mêmes objectifs qu’Elon Musk. « Dans notre travail, on ne parle pas du tout de conquête spatiale, précise Elsa Ducrot. Notre but, c’est de comprendre la diversité des planètes dans la galaxie et dans l’univers et de comprendre la prévalence de la vie dans l’univers, mais à aucun moment pour aller trouver ou conquérir une autre planète. On sait très bien que le meilleur moyen que l’espèce humaine reste en vie, c’est de protéger la Terre. »

« Notre but, c’est de comprendre la prévalence de la vie dans l’univers, mais à aucun moment
d’aller trouver ou conquérir une autre planète. »
— Elsa Ducrot, astronome

Une planète dont l’espèce humaine dépend, rappelle Benjamin Charnay, un humain ne pouvant pas respirer sur Mars. « On est dépendants de l’écosystème sur Terre pour se nourrir, pour notre microbiote. On ne peut pas nous séparer de l’environnement de la Terre, on est pleinement intégrés à cet écosystème. De mon point de vue, on ne trouvera jamais mieux que la Terre pour vivre. » Le million de « colons » qu’Elon Musk prévoyait d’installer sur la planète rouge d’ici 2060 (un objectif annoncé lors du lancement de SpaceX, en 2002) sera dépendant de combinaisons et de bouteilles d’oxygène. D’où la réflexion de Martin Turbet : « La survie est possible partout, avec des combinaisons, des scaphandres, dans des modules... mais dans l’imaginaire collectif, je ne suis pas sûr que ce soit ça que l’on appelle “habiter sur une planète”. »

Cet article a initialement été publié dans le numéro 32 d’Émile, paru au printemps 2025.



Julie Moulin : "Pour comprendre un pays, il faut s’imprégner de sa littérature"

Julie Moulin : "Pour comprendre un pays, il faut s’imprégner de sa littérature"

Bouchons en orbite

Bouchons en orbite