Jessica Coria : Le boom des e-déchets

Jessica Coria : Le boom des e-déchets

Les capacités de recyclage ne suivent pas la production exponentielle de déchets électroniques. Jessica Coria, économiste de l’environnement, professeure associée à l’Université de Göteborg, en Suède, et invitée à l’OFCE-Sciences Po, expose l’origine de ce problème et quelques solutions.

Par Jessica Coria (traduit de l’anglais par la rédaction d’Émile)

Les projections indiquent que la quantité de déchets électroniques atteindra 82 millions de tonnes d’ici 2030. Si les efforts se sont généralisés, ils restent insuffisants, avec une augmentation des capacités de recyclage et de collecte de seulement 0,5 million de tonnes par an. L’augmentation annuelle de la production de déchets électroniques dans le monde est quant à elle de 2,6 millions de tonnes. Cela signifie que pour chaque unité de déchets recyclée, cinq fois plus sont générées. La prolifération des appareils électroniques explique cette explosion.

Une crise de santé publique

En parallèle, l’absence de systèmes de gestion adaptés a très fortement exposé les humains et l’environnement à des produits chimiques toxiques - plomb, cadmium, mercure et polluants organiques persistants (dioxines) -, surtout dans les pays où cette gestion est informelle. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) identifie ces polluants comme des risques majeurs pour la santé publique.

À long terme, l’exposition aux déchets électroniques augmente le risque de maladies chroniques, y compris certains cancers.

Le problème est aggravé par les méthodes de recyclage rudimentaires et dangereuses dans de nombreux pays en développement, où les déchets électroniques sont souvent brûlés ou traités avec des acides pour extraire les métaux précieux. Ces processus libèrent des polluants nocifs dans l’air, le sol et l’eau. En plus des métaux lourds, on retrouve plus de 1 000 substances nocives, dont les polychlorobiphényles (PCB) et les polybromodiphényléthers (PBDE).

Les risques sanitaires associés à l’exposition aux déchets électroniques sont particulièrement graves pour les personnes vulnérables, notamment les femmes enceintes et les enfants. Des études font la corrélation entre l’exposition prénatale et durant la petite enfance à des troubles du développement neurologique, des complications à la naissance, des maladies respiratoires, des troubles thyroïdiens, des problèmes cardio-vasculaires et un affaiblissement du système immunitaire. À long terme, cette exposition augmente le risque de maladies chroniques, y compris certains cancers. Les recycleurs informels, qui travaillent sans mesures de protection, subissent des blessures physiques, une exposition à des substances toxiques et des dommages à l’ADN.

Alors que les pays à revenus élevés génèrent la plupart des déchets électroniques mondiaux, une grande partie de ceux-ci est exportée vers les pays en développement.

Les conséquences environnementales sont tout aussi alarmantes. La contamination des sols, de l’air et de l’eau par le traitement des déchets électroniques perturbe les écosystèmes, pollue l’eau potable et affecte la biodiversité. Des substances nocives issues de ces déchets ont été trouvées dans les plantes, les espèces aquatiques et les animaux terrestres à proximité des sites de traitement des déchets. À mesure que ces polluants s’accumulent dans la chaîne alimentaire, ils menacent les écosystèmes et la santé humaine.

Injustice environnementale

Alors que les pays à revenus élevés génèrent la plupart des déchets électroniques mondiaux (voir le graphique ci-contre), une grande partie de ceux-ci est exportée vers les pays en développement, où des réglementations plus faibles et des coûts de main-d’œuvre moins élevés rendent le traitement des déchets moins coûteux. Au cours des deux dernières décennies, les centres informels de recyclage des déchets électroniques en Asie et en Afrique sont devenus une préoccupation mondiale majeure. Ces sites, souvent caractérisés par des méthodes de recyclage non réglementées et dangereuses, exposent les populations locales à des polluants toxiques et à la dégradation de l’environnement.

Production de e-déchets en fonction du pouvoir d’achat (Rapport mondial sur les déchets d’équipements électriques et électroniques 2024)

Cette charge inégale de l’élimination des déchets est devenue un problème d’injustice environnementale. Les communautés à faible revenu de ces régions souffrent des plus grandes conséquences sanitaires et environnementales, mais ne tirent que peu d’avantages économiques des matériaux précieux extraits. Sans une surveillance internationale plus stricte, ce déséquilibre ne fera que s’aggraver.

Renforcer les solutions mondiales

Les politiques de l’économie circulaire mettent l’accent sur la conception durable, la récupération des matériaux et le recyclage, mais leur mise en œuvre reste fragmentée. Plusieurs aspects doivent être pris en compte pour un système durable.

1. Renforcer l’infrastructure de recyclage

Le recyclage des éléments des terres rares (ETR) - essentiels pour des technologies telles que les batteries de véhicules électriques et les éoliennes - reste largement sous-développé. Moins d’1 % des ETR sont actuellement recyclés, malgré les estimations selon lesquelles, d’ici 2040, plus de la moitié des matériaux des batteries au lithium-ion pourraient provenir de sources recyclées si des systèmes appropriés étaient en place.Certaines régions ont introduit des politiques ambitieuses pour améliorer le recyclage. Le règlement européen sur les batteries (appliqué à partir de 2030) oblige les fabricants à utiliser un pourcentage minimum de matériaux recyclés dans les nouvelles batteries. La Chine a mis en place des politiques similaires de responsabilité élargie des producteurs (REP). Cependant, des pays comme les États-Unis manquent de réglementations solides, grevant ainsi les efforts mondiaux de recyclage.

2. Responsabilité des entreprises et approvisionnement éthique

Les entreprises technologiques et automobiles ont une influence considérable sur les chaînes d'approvisionnement mondiales. Certaines, comme Apple et Tesla, se sont engagées à accroître la transparence et la durabilité en la matière. Apple vise 100 % de matériaux recyclés dans ses produits, tandis que Tesla a rejoint la Fair Cobalt Alliance pour promouvoir une exploitation minière responsable. L’exploitation minière non durable reste toutefois en usage et les normes éthiques d’approvisionnement sont peu appliquées. Un système de certification pour les matériaux recyclés, comme les labels de commerce équitable ou bio, pourrait encourager les fabricants à privilégier des pratiques éthiques et respectueuses de l’environnement. 

Une décharge de déchets électroniques au Ghana, où le projet Agbogbloshie forme les recycleurs à des techniques plus sûres © Axel Drainville/Flickr

3. Formalisation du recyclage informel

Ce secteur joue un rôle crucial dans la collecte des déchets électroniques, dépassant souvent les systèmes formels en termes d’efficacité. Cependant, les travailleurs informels sont exposés à des produits chimiques toxiques et des risques sanitaires graves. Certains pays, comme l’Inde, ont commencé à intégrer les recycleurs informels au secteur réglementé pour améliorer la sécurité et le respect de l’environnement. Au Ghana, le projet Agbogbloshie forme les recycleurs à des techniques plus sûres. L’expansion de ces modèles à l’échelle mondiale pourrait améliorer les conditions de travail, réduire la pollution et augmenter l’efficacité du recyclage. 

4. Responsabilité des consommateurs et conception durable

Le renouvellement des appareils électroniques aggrave la crise des déchets. Les smartphones durent généralement deux-trois ans, tandis que les ordinateurs portables, tablettes et appareils domestiques intelligents sont remplacés tous les trois à cinq ans. De nombreux appareils électroniques ont des composants étroitement intégrés, ce qui rend le démontage coûteux et inefficace. Cela, combiné à des processus de recyclage énergivores, maintient des coûts de recyclage élevés et décourage l’investissement dans de meilleures technologies. L’obsolescence programmée exacerbe le problème, entraînant une extraction accrue des ressources et une génération exponentielle de déchets. Il est donc plus que jamais essentiel de promouvoir des produits réparables et plus durables.



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