Jean-François Clervoy Voir la Terre et pleurer

Jean-François Clervoy Voir la Terre et pleurer

L’astronaute français, 66 ans aujourd’hui, a effectué trois missions avec la NASA dans les années 1990, deux fois à bord de la navette Atlantis, puis à bord de Discovery. Il totalise 675 heures dans l’espace.

Par Thomas Arrivé

Largage du télescope Hubble, décembre 1999. (Crédit : NASA).

Comment devient-on astronaute ? En étant relativement sportif, apparemment: Jean-François Clervoy possède des brevets de parachutiste civil et militaire, de plongée civile et militaire ainsi qu’un brevet de pilote privé. Peut-être aussi le métier tient-il à une famille qui y prédispose: avec un père officier de l’armée de l’air et pilote de chasse, Clervoy avait de qui tenir. Pour le reste, il raconte: «Adolescent, je pensais à la médecine. Réparer les gens, c’est le plus beau métier. C’est celui qu’a fait mon frère, finalement. Je voyais l’espace comme un loisir: notre génération prendrait son billet pour aller passer le week-end sur la Lune. J’avais 11 ans pour Apollo 11, quand l’homme y a posé le pied pour la première fois. Je suis né en 1958, l’année de la fondation de la NASA. Et puis, je me souviens: à Beyrouth, où mon père a été affecté quelques années, je regardais Star Trek à la télévision. Je dis bien Star Trek: au cinéma, Star Wars, comme son nom l’indique, est sur le thème de la guerre; mais Star Trek, avec son projet pacifique, me passionnait. Rapidement, l’espace a pris le dessus sur toute autre vocation.»

Du rêve à la réalité, il fallait passer par une formation sélective. Clervoy est entré à Polytechnique, a enchaîné avec Supaéro, à Toulouse. Ingénieur général de l’armement, il a obtenu dès 1983 un détachement de la DGA pour rejoindre le Centre national d’études spatiales (Cnes) et a commencé par travailler sur les satellites. «J’aurais pu rester sur Terre, après tout. Travailler sur des sondes interplanétaires, par exemple: c’est extraordinaire. Songez que Voyager 1 et 2 ont été envoyées il y a 48 ans, ont quitté le système solaire depuis belle lurette, se trouvent à 20 “heures-lumière” de nous, et répondent encore. »

Mais Clervoy n’a pas hésité longtemps quand l’opportunité s’est présentée de s’envoler lui-même. En 1985, il a été sélectionné par la France pour faire partie d’une promotion d’astronautes. En 1991, il s’est entraîné à la Cité des étoiles, près de Moscou. L’année d’après, il a été détaché auprès de la NASA à Houston, aux États-Unis. «Pour le grand public, le métier d’astronaute se limite au voyage dans l’espace. Mais pour y faire quoi? La réalité est très prosaïque: c’est un métier d’opérateur de machines complexes dans un environnement extrême, hostile, confiné et isolé. Notre domaine, l’astronautique, à ne pas confondre avec l’astronomie, est une discipline technique pour des ingénieurs qui conçoivent et utilisent des fusées et des satellites, des appareils qui marchent dans le vide spatial.»

Une expérience spirituelle: qui ou quoi a créé ça?

Sa première mission a eu lieu en novembre 1994. Il s’agissait d’étudier la composition de l’atmosphère terrestre et son évolution sous l’influence du soleil. Clervoy était responsable du pilotage du bras robotique pour le déploiement d’un satellite de l’Agence spatiale allemande.

Deux ans et demi plus tard, il était responsable des phases cruciales d’approche et d’amarrage de la navette spatiale à la station russe Mir. Il était aussi commandant du module Spacehab, qui abritait une vingtaine d’expériences scientifiques et quatre tonnes de matériel de ravitaillement.

La dernière mission a eu lieu en décembre 1999. Il s’agissait cette fois de réparer le télescope Hubble, qui venait de tomber en panne. Clervoy était l’ingénieur navigant de la navette et l’opérateur du bras robotique pour capturer et relâcher le télescope, ainsi que pour positionner ses coéquipiers pendant leurs trois sorties dans l’espace de plus de huit heures chacune.

«C’est une expérience sensorielle et émotionnelle qui tirerait des larmes à l’individu le plus froid»
— Jean-François Clervoy

Qu’a-t-il éprouvé en voyant la Terre depuis le ciel ? «C’est une expérience sensorielle et émotionnelle qui tirerait des larmes à l’individu le plus froid. Devant ce spectacle, on pleure. Pour certains, c’est même une expérience spirituelle: qui ou quoi a créé ça? On voit tout, depuis les ouragans jusqu’aux impacts d’astéroïdes comme le Manicouagan, au Québec. C’est un spectacle climatique, tectonique, géologique, électrique (les aurores polaires) et cosmique. On prend conscience de deux choses. La première, c’est que la Terre, en tant que planète, n’est pas fragile: elle était là avant nous, elle sera là après. La seconde, quand on voit la finesse de l’atmosphère sur sa tranche, c’est que la vie ne tient pas à grand-chose. On compare quelquefois la Terre à une orange, mais pour mieux se représenter la fragilité de la biosphère, je préfère la comparaison à la peau d’une pomme. On comprend vraiment le caractère ténu de la vie. Et depuis nos machines, on songe que la Terre est un vaisseau spatial comme les autres: fini et isolé. Les notions de solidarité, de gaspillage ou de recyclage prennent tout leur sens.»

Parmi les activités de sa «vie d’après», Clervoy a présidé Novespace entre 2006 et 2019, la filiale du Cnes chargée des vols paraboliques créée 30 ans plut tôt. Il s’agit de vols en montagnes russes permettant de reproduire l’état d’apesanteur en haut de la courbe, identique à celui perçu en orbite terrestre. En 2013, il a fondé chez Novespace la marque Air Zero G, qui a ouvert ces vols en apesanteur aux clients privés, les bénéfices étant reversés à la recherche scientifique.

Il n’a cessé de faire œuvre de pédagogie auprès de tous les publics

«J’ai dû visiter un millier de classes en une trentaine d’années, de la maternelle à l’université.»
— Jean-François Clervoy

Mais il a aussi fait partager son expérience aux plus jeunes. À l’Agence spatiale européenne, il a coaché les nouvelles promotions d’astronautes, notamment celle de Thomas Pesquet. Et vis-à- vis du grand public, il n’a cessé de faire œuvre de pédagogie. Auprès des médias, bien sûr. Auprès des élus également: pour défendre le financement des vols spatiaux habités qu’il juge modeste au vu des résultats (« l’équivalent de 1,20 euro par Français et par an, 1000 fois moins que l’Éducation nationale»). Auprès des scolaires enfin: «J’ai dû visiter un millier de classes en une trentaine d’années, de la maternelle à l’université. »

«Si on progresse dans ce domaine, l’homme pourrait bientôt fouler le sol de Mars.»
— Jean-François Clervoy

Quel renouveau réserve, selon lui, l’avenir de l’astronautique? «Le grand bond technologique qu’on attend concerne la propulsion. On a besoin d’aller plus vite pour aller plus loin. La solution viendra peut-être de la propulsion ionique, qui a été utilisée par l’Europe pour envoyer la sonde Smart-1 vers la Lune. Pour des vols habités, on est très contraints, et les distances sont toujours immenses. Mais si on progresse dans ce domaine, l’homme pourrait bientôt fouler le sol de Mars. »


Cet article a initialement été publié dans le numéro 32 d’Émile, paru au printemps 2025.



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