David Lisnard : "Il faut rendre le pouvoir d’agir aux élus locaux"
Président de l’Association des maires de France (AMF) et maire de Cannes, David Lisnard revient, à l’approche des municipales de 2026, sur les avancées obtenues, les obstacles persistants, l’urgence de revaloriser le mandat local et ses convictions pour une démocratie plus efficiente, au plus près des citoyens.
Propos recueillis par Bernard El Ghoul (promo 99)
Vous avez mis l’accent sur la « crise de l’exécution publique » et la nécessité de redonner aux maires des marges de manœuvre. Qu’avez-vous obtenu et que reste-t-il à obtenir, notamment auprès de l’État ?
Dans nos communes et aussi au sein de l’AMF, nous agissons tous les jours pour lever les freins à notre action, contre l’émiettement des compétences entre opérateurs qui dilue les responsabilités, contre les ponctions budgétaires qui visent à ralentir l’investissement local, contre les injonctions contradictoires entre agences de l’État et contre les normes et la bureaucratie qui entravent notre action. Le problème est bien l’inexécution des choses : voir l’effondrement du niveau scolaire, constater l’incapacité d’emprisonner vos agresseurs, alors qu’on dépense plus d’argent qu’ailleurs et plus d’argent qu’avant. Et pourtant, sur des fondamentaux, on s’effondre. Donc oui, nous sommes dans une crise de l’exécution publique et de la bonne utilisation de l’argent du contribuable. Cette crise, c’est une crise de la démocratie, car elle conduit à faire penser que la démocratie est impuissante et qu’elle nous protège moins. En plus, on ouvre la voie à tous les extrêmes, à tous les dictateurs.
Dans une société où le rythme de vie s’accélère, où le pouvoir d’achat s’effrite, avec des habitants de plus en plus exigeants et dont certains se sentent oubliés des politiques publiques, les maires sont porteurs de solutions pragmatiques, innovantes et économes. Sans notre action la « crise de l’exécution publique » se transforme en crise civique. Il faut donc rendre le pouvoir d’agir aux élus locaux. L’AMF a obtenu des avancées ces dernières années, permettant par exemple de retrouver de la liberté locale en matière d’implantation d’installations d’énergies renouvelables, d’assouplissement du Zéro artificialisation nette (ZAN) qui pèse sur la disponibilité du foncier, sur le transfert de certaines compétences rendu non obligatoire comme avec l’eau et l’assainissement, en faveur de certains dispositifs fiscaux qui soutiennent le développement local comme les zones de revitalisation rurale ou encore des moyens concrets pour la reconstruction de Mayotte.
“« Malgré les annonces du gouvernement sur la simplification, la multiplication des “comités d’alerte”, “conférences” et “Roquelaure”, l’exécutif continue d’imposer de nouveaux coûts et des contraintes. »”
Pour autant, nous ne ferons pas l’économie d’une réelle réforme pour la liberté locale. L’AMF propose un nouvel acte de décentralisation fondé sur la subsidiarité ascendante, dans lequel l’échelon le plus proche du citoyen serait par principe le premier à pouvoir décider et agir. Cela implique trois choses : un pouvoir décisionnel des maires sur tout ce qui affecte leur commune – services hospitaliers, ouverture et fermetures de classes, logement, gestion de l’eau, etc. –, un pouvoir réglementaire pour mettre en œuvre des lois qui se cantonneraient à définir de grands objectifs ou de grandes dispositions d’ordre public et une autonomie financière et fiscale. Or, malgré les annonces du gouvernement sur la simplification, la multiplication des « comités d’alerte », « conférences » et « Roquelaure », l’exécutif continue d’imposer de nouveaux coûts et des contraintes. Supprimer des normes doit devenir prioritaire. Voilà ce qu’il nous reste à obtenir dans l’immédiat.
L’AMF a lancé en avril sa campagne « Municipales 2026 : engagez-vous ! » Comment inciter les citoyens à se réengager localement ?
S’agissant des prochaines élections municipales, l’AMF a mené une étude avec le Cevipof de Sciences Po, qui démontre aussi qu’il ne devrait pas y avoir de rupture dans l’engagement municipal. Mais la démocratie est précieuse et fragile : il faut l’entretenir et ne pas attendre de la perdre pour en apprécier la valeur.
Tout l’enjeu de notre campagne est de mettre en avant l’utilité de l’engagement dans la vie municipale. De montrer qu’il est concret et qu’il permet d’améliorer le cadre de vie autour de nous en matière de propreté, de sécurité, de vie économique, d’éducation, de biodiversité, d’esthétique des lieux aussi.
L’engagement des citoyens permet à chacun de participer activement à la vie de la cité, de faire entendre sa voix et de contribuer à la prise de décisions qui façonnent notre quotidien. S’engager, c’est aussi défendre des valeurs, proposer des idées et œuvrer pour les autres. C’est grâce à cet engagement que nos communes peuvent évoluer, innover et répondre aux besoins de leurs habitants et que notre démocratie est revitalisée. C’est tout l’objet de la campagne que nous avons lancée, un an avant les élections municipales.
Face aux 2 400 démissions et 57 000 sièges vacants depuis 2020, quelles mesures proposez-vous pour améliorer les conditions d’exercice du mandat ?
La première cause de démission des élus réside dans l’entrave à l’exercice du mandat et les difficultés à faire aboutir les projets comme le révèle l’enquête publiée par l’AMF avec le Cevipof en novembre 2023. Cela nous ramène à votre première question et l’importance de libérer l’action des élus locaux, qui sont pour 80 % d’entre eux, je le rappelle, des bénévoles.
Il y a trois ans, l’AMF a formulé des propositions qui ont été en grande partie intégrées dans une proposition de loi toujours en cours d’examen par le Parlement. Nous demandons que ce texte puisse être promulgué, ainsi que les décrets qui en découleront, avant les élections municipales de 2026. Parmi ces propositions figurent des mesures pour mieux concilier le mandat avec une activité professionnelle ou étudiante (autorisations d’absence, crédits d’heure, remboursement frais de déplacement…) pour ne pas pénaliser les droits sociaux des élus (retraite, congé maternité, arrêt maladie) ou encore faciliter l’accès à la formation. Tel que le texte est actuellement rédigé, aucune mesure ne vient revaloriser les indemnités de fonction, ce que nous regrettons. Les maires devraient être indemnisés à hauteur d’un cadre des collectivités.
“« Les collectivités doivent voter un budget à l’équilibre. Cela alors même que les impôts locaux supprimés n’ont pas été compensés. »”
Enfin, l’accroissement des atteintes aux élus (+ 45 % depuis 2022) est une autre source de préoccupation. L’AMF a été la première à alerter et nous avons mis en place des dispositifs d’urgence avec une équipe dédiée pour accompagner juridiquement les élus, un partenariat avec France Victimes pour apporter un soutien psychologique aux élus locaux qui en font la demande et des formations à la gestion du conflit. Plus de 27 000 élus ont déjà été formés. L’AMF a aussi obtenu un renforcement des sanctions envers les auteurs d’agression visant les élus par la loi du 22 mars 2024. Il faut aller plus loin, notamment en renforçant le suivi des enquêtes et en allongeant les délais de prescription sur les réseaux sociaux.
Pour les élections de 2026, quelles sont les priorités de l’AMF ? Quels sont les grands chantiers prioritaires sur le moyen terme pour les communes ?
Chaque maire et chaque candidat définit librement ses priorités dans sa commune, il n’appartient pas à l’AMF de se prononcer. En revanche, en matière de politique nationale, la priorité doit être le rétablissement des comptes publics, en s’attaquant à ses causes profondes, sans faire porter la responsabilité aux autres, à commencer par les collectivités locales. Je rappelle que les collectivités respectent la règle d’or, c’est-à-dire qu’elles doivent voter un budget à l’équilibre. Cela alors même que les impôts locaux supprimés n’ont pas été compensés à l’euro près. Il manque un milliard d’euros de compensation pour la taxe d’habitation et 765 millions d’euros par an sur la CVAE [cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, NDLR].
Par ailleurs, elles ne peuvent emprunter que pour de l’investissement. Et depuis 30 ans, la dette des collectivités a légèrement baissé, elle représente 8,9 % du PIB, quand celle de l’État a augmenté de 135 %. Or, si l’on compare avec nos voisins européens, la dépense totale des collectivités représente en cumulé 11 % du PIB contre une moyenne européenne de 17,9 % ! Sur le total de la dépense publique cette fois-ci, la part des collectivités ne représente que 19 % en France, contre une moyenne européenne de 34 %.
“« Depuis 30 ans, la dette des collectivités a légèrement baissé »”
On peut d’ailleurs constater que très souvent, plus la part des dépenses des pouvoirs publics locaux est importante dans le total de la dépense publique, moins cette dernière est élevée par rapport à la richesse du pays. La dépense locale est en effet souvent plus efficace, plus ciblée, moins consommatrice de bureaucratie. Les pays décentralisés ont une bien meilleure situation financière publique globale.
Une autre priorité pour les communes est le rétablissement par l’État de la sécurité, qui est sa compétence première. Les maires y contribuent en recrutant, quand ils le peuvent, des policiers municipaux, mais ceux-ci ne peuvent se substituer aux forces nationales.
Président de l’AMF, maire de Cannes et figure montante de la droite, comment conciliez-vous ces responsabilités avec vos aspirations pour 2027 et le projet national de Nouvelle Énergie ?
C’est une grande chance que de pouvoir représenter depuis quatre ans les maires de France et de diriger depuis plus de 10 ans ma commune de Cannes. Je suis également père de famille et tous ces engagements vont dans le même sens : vouloir le meilleur pour l’avenir de mes enfants en France. Notre pays a des atouts formidables, au XXIe siècle, par sa géographie et sa ruralité moderne, par sa créativité qui est indispensable à l’heure de l’IA, par la qualité de ses scientifiques. Ma motivation est simple : défendre les idées que je crois bonnes pour le pays pour porter une nouvelle espérance scientifique, démographique, éducative et culturelle.