Raphaël Sarlin-Joly : l’art en éruption

Raphaël Sarlin-Joly : l’art en éruption

De la Méditerranée à la Sibérie, de Sciences Po aux scènes d’Avignon, Raphaël Sarlin-Joly (promo 13) trace un sillon singulier entre poésie, théâtre et musique. Auteur, metteur en scène, créateur de la compagnie L’Ire des Volcans et membre fondateur du groupe Fine Lame, il explore une forme hybride, électrique et habitée du verbe.

Propos recueillis par Alessandra Martinez

Pouvez-vous revenir sur votre parcours ? Vos origines, votre formation, vos premiers rapports à l’art…

J’ai grandi à Antibes. La Méditerranée a été mon premier horizon, et cela reste un rapport très marquant pour moi. J’ai eu un premier choc artistique assez jeune dans un cours de théâtre où j’étais inscrit un peu par hasard, sans grande conviction. Un jour, j’ai dû déclamer un poème de Robert Desnos dans la cathédrale d’Antibes. Là, j’ai vraiment vécu une quadruple déflagration : le théâtre, le public, le sacré et le poétique. C’est mon premier vrai souvenir artistique fondateur. 

Je suis ensuite entré à Sciences Po après mon bac, à 16 ans. C’était un choix évident car je voulais garder un maximum d’ouvertures possibles, ne pas me fermer de portes. Dès la première année, j’ai joué dans des spectacles avec le Bureau des arts, puis j’ai commencé à mettre en scène en deuxième année, notamment Noces de sang, de Lorca. J’ai ensuite fait ma troisième année à Vassar College, aux États-Unis. Une année très enrichissante. C’est là-bas que j’ai pris la décision claire de m’orienter vers le théâtre et la poésie. L’environnement du campus, très dynamique, favorise les initiatives.

« J’ai donné à Sciences Po pendant deux ans un atelier théâtre pour les étudiants en deuxième année intitulé “Au commencement était le verbe : parole sacrée et incarnation du monde”. »
— Raphaël Sarlin-Joly

J’y ai mis en scène La Maison de Bernarda Alba, de Lorca. C’était une façon de prolonger mon attachement au texte et au théâtre. Ensuite, après mon retour des États-Unis, j’ai mis en scène une pièce de Martin McDonagh, The Pillowman, que j’ai traduite sous le titre L’Homme Polochon. C’était la première mise en scène en France de cette pièce. J’ai aussi monté L’Échange de Claudel, en 2013, pendant ma dernière année. Puis à la sortie de l’école, j’ai quitté le théâtre étudiant pour me lancer dans le théâtre professionnel, en commençant par une collaboration qui a duré plusieurs années, à Paris et à Londres, avec le metteur en scène Gérald Garutti.

C’est là que vous avez créé votre compagnie ?

Les statuts officiels ont été déposés en 2014, mais dans mon esprit, la compagnie L’Ire des Volcans est née dès la fin de mes études quand j’ai écrit, mis en scène et joué un texte intitulé Et je vis le regard des chats sauvages. C’était mon premier texte long et mon premier spectacle en tant qu’auteur. C’est un monologue accompagné à la basse. Ce que j’appelle ma « forme » : un poème long, une forme hybride entre poésie, théâtre et musique. Ce texte s’inspire d’un conte amérindien de Basse-Californie. Il existe aussi une autre version de ce conte dans La Perle de Steinbeck. C’est l’histoire d’un pêcheur de perles très pauvre qui découvre un jour une perle immense, « la perle du monde », qui semble lui promettre une vie meilleure, la guérison de son fils, une échappée hors de sa condition. Mais au fil du récit, cette promesse se transforme en métaphore tragique. Le spectacle a beaucoup tourné entre 2014 et 2017, notamment à Avignon. En 2015, nous l’y avons présenté.

En parallèle j’ai donné à Sciences Po pendant deux ans un atelier théâtre pour les étudiants en deuxième année intitulé « Au commencement était le verbe : parole sacrée et incarnation du monde ». C’était une approche cérémonielle, sacramentelle du théâtre, une exploration du lien entre scène, parole et sacré. On travaillait à partir des tragiques grecs et des réécritures contemporaines des mythes grecs, notamment par Jean-Pierre Siméon. Puis je suis revenu à Avignon avec une autre création : Nous irons pieds nus comme l’ire des volcans. C’est un spectacle radicalement différent, écrit pour une comédienne, mis en musique par Laurent Petitgand, le compositeur fétiche de Wim Wenders. Là aussi, on est sur une forme de poème dramatique musical.

Vous avez ensuite continué dans cette veine, puis avez donné naissance à votre groupe…

Oui, en 2017, j’ai créé Canto Transsibérien, une sorte de road-movie poétique en format concert. C’est un poème narratif qui relate un voyage que j’ai réellement fait en 2016, de Moscou jusqu’au Pacifique, le long du Transsibérien. J’y étais récitant, accompagné de quatre musiciens : guitare, clavier, saxophone et batterie. C’est une forme à la frontière entre concert et théâtre – un « concert narratif », avec un fort ancrage rock. 

« Au théâtre, je puise chez Claudel et Pasolini. Musicalement, c’est très éclectique : rock anglo-saxon, Bashung, Ferré... Tous ceux qui tentent une jonction entre poésie et tension électrique. »
— Raphaël Sarlin-Joly

Après ça, avec certains musiciens de Canto Transsibérien, nous avons voulu prolonger l’expérience, aller vers un rock poétique, ou une poésie électrifiée. Nous avons fondé le groupe Fine Lame, dont je suis le chanteur et auteur. Nous sommes quatre : voix/texte, clavier, guitare/basse et batterie. C’est un travail collectif, nous composons à quatre. La musique a toujours eu une place essentielle pour moi. C’est une vraie passion mystique. Petit à petit, nous allons vers des formats plus chantés, il y a davantage de refrains, de mélodies qu’avant. Mais on reste sur un équilibre entre la déclamation et le chant. Nous avons sorti un premier EP fin 2022, et nous venons tout juste de sortir le deuxième, Vivre comme on éclaterait, pour lequel nous avons fait une release party à La Mécanique Ondulatoire le 2 juillet. C’est un disque de six titres, en français, dans une veine à la fois fiévreuse et poétique, entre spoken word et rock un peu tendu.

Quelles sont vos références ?

Sur scène avec son groupe Fine Lame, Raphaël Sarlin-Joly combine ses talents d’auteur, comédien, poète et musicien. (Crédits : Alessandra Martinez/Émile magazine)

Elles sont nombreuses et mêlées. En littérature, je suis profondément marqué par L’Enfer de Dante (notamment la partie du Malebolge), par L’Iliade, que je trouve plus marquante que L’Odyssée, et par les grands textes fondateurs. La poésie d’Edgar Allan Poe est aussi essentielle. Un de mes poètes fétiches est Blaise Cendrars, dont La Prose du Transsibérien a directement inspiré Canto Transsibérien.

Au théâtre, je puise beaucoup chez Claudel et Pasolini. Musicalement, c’est très éclectique : le rock anglo-saxon est très présent, mais aussi des artistes comme Noir Désir, Bashung, Thiéfaine, Léo Ferré... Tous ceux qui tentent une jonction entre poésie et tension électrique.

Claire Denis est également une grande source d’inspiration. J’ai été très influencé par le clip qu’elle a réalisé pour Alain Bashung pour la chanson Faites monter. C’est d’ailleurs la référence principale de notre premier clip avec Fine Lame, Nous tournons dans la nuit… et nous sommes dévorés par le feu.

Cet article a initialement été publié dans le numéro 33 d’Émile, paru à l’été 2025.


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